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   14:30. Charlène arrive, blanche comme un drap. Je sais d'emblée que quelque chose ne va pas du tout. En même temps, pas besoin d'être extra-lucide pour s'en apercevoir...

BETH, discrètement. – Elle est pas bien, ta nana, Léa...
MOI, trop sèche. – Je sais.

   Nous entrons dans la salle à la suite de nos collègues et nous installons.

CHARLÈNE. – Exceptionnellement, le cours ne durera pas jusqu'à 16:30. Je vous laisserai partir une demi-heure avant car j'ai un impératif personnel.

   Toutes et tous, exceptées Beth et moi, se rejouissent. Aucun n'a remarqué la voix mal assurée de ma compagne alors qu'elle prononçait ces mots. Il se passe quelque chose, et j'ai de plus en plus de raisons d'être inquiète.

BETH. – Elle a besoin de toi...
MOI. – J'en suis pas sûre, Beth. Vu comme elle est distante, ces derniers temps, j'en suis vraiment pas sûre...
BETH. – C'est un mécanisme de défense.
MOI. – Je sais bien, mais j'ai le sentiment que je ne peux vraiment rien faire pour elle quand elle est comme ça.
BETH. – Ecoute, prends le temps d'aller lui parler à la fin de l'heure, et puis tu verras bien...
MOI. – Oui, t'as raison.

   15:55, elle arrête son cours. Beth me salue et quitte la salle avec les autres. Je reste. Je m'avance vers le bureau de Charlène : son angoisse est aussi palpable que contagieuse... Elle est pâle, elle mordille nerveusement sa lèvre inférieure et sa jambe ne cesse de bouger frénétiquement. Elle me lance un regard froid lorsque j'arrive à sa hauteur.

MOI, ferme. – Qu'est-ce qui se passe ?
CHARLÈNE. – Rien. Tu peux t'en aller.
MOI. – Non.

   Un silence glacial s'installe. Je la sens fébrile.

MOI. – Je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas parlé.
CHARLÈNE. – Je n'ai rien à te dire.

   Une fois de plus...

MOI. – Oh si, tu as des choses à me dire...

   Elle soupire tout en évitant mon regard.

MOI. – Charlène, je suis inquiète...
CHARLÈNE. – Tu n'as pas à l'être.

   Je marque une pause. Je ne veux pas être blessante.

MOI. – Pourquoi tu ne me fais pas confiance ? Pourquoi est-ce que tu me fuis, comme ça ?
CHARLÈNE. – Léa, c'est pas le moment, il faut que j'y aille.
MOI. – Mais où ça, bon sang, où ça ?!

   Elle me lance un regard amer tout en faisant mine de quitter la salle.

MOI. – Attends. Ecoute-moi. Je sais qu'il t'arrive quelque chose... Probablement quelque chose de vraiment pas cool, de grave. Je vois bien que ça fait un certain temps que tu ne vas pas bien, et je suis inquiète. Je suis inquiète parce que je te vois être de plus en plus distante avec moi, je suis inquiète parce que je t'ai vu maigrir à vue d'œil ces dernières semaines... Je suis inquiète parce que je tiens à toi, en fait. Tu comprends ?

   Sans dire un mot, encore une fois en fuyant mon regard, elle sort. Je lui emboîte aussitôt le pas.

MOI. – Je t'en prie. Parle-moi, Charlène...

   Elle s'arrête et se tourne vers moi, semblant alors au bord des larmes. M'assurant que le couloir est désert, je prends la liberté de m'approcher d'elle et de saisir ses mains gelées dans les miennes.

MOI, douce. – Regarde-moi... Pourquoi tu as l'air si vulnérable ?...

   Après de longues secondes passées dans un silence pesant, elle lève les yeux dans ma direction et trouve la force de me parler.

I Never Thought - Coup d'un soir pour la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant