La fille aux cheveux bouclés

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Une semaine passe, puis deux. Nous sommes le 13 mars. 

Assise sur un banc de bois, mon sac à main posé à mes pieds, j'observe les alentours, comme tous les jours. Les voyageurs sont fatigués, le ciel est rose, les croissants sentent bons. Je sors mon livre, toujours le magasin des suicides. J'en suis à la moitié. Le sifflement aigu du train retentit alors qu'il approche du quai. Je repense à Absolem, et je souris.

Aujourd'hui va être une journée comme les autres. Mais je ne plains pas, non : le quotidien me rassure. Je sais exactement où me guident chacun de mes pas. 

Les portes s'ouvrent dans son chuintement habituel, le wagon est presque vide. Je monte dans le même compartiment que d'habitude, me dirige jusqu'à ma place préférée, vers le fond près de la fenêtre. Mais quelqu'un y est déjà assis.

C'est elle. C'est la fille aux cheveux bouclés.

-Salut, je m'entends lui dire.

-Salut, me répond-elle. 

-Hum, désolée de te dire ça comme ça, mais j'ai l'habitude de m'assoir ici... 

-Oh, d'accord...

Elle commence à se lever.

-Attends, non, ce n'est pas ce que je voulais dire, excuses-moi. Ce n'est qu'une place... 

Ses grands yeux bleu clair trahissent son incompréhension. Elle a la peau pâle, le visage couvert de discrètes tâches de rousseurs. Son parfum m'enivre à chaque mouvement qu'elle fait, aussi léger soit-il.

Je me sens nerveuse. Pourquoi ? Elle a l'air sympa. Pas de raison de me mettre dans cet état. 

J'essayes de me ressaisir.

-Ce que je voulais dire c'est... Je m'assois toujours ici, donc je connais les visages de tous les passagers. Tu prends ce train d'habitude ? Je ne t'ai jamais vu dans ce wagon.

Elle se radoucit, me sourit timidement.

-Oh, non, je prends le précédent. À L'arrêt juste avant. J'ai aussi ma place préférée normalement, à l'avant du train. Mais aujourd'hui je suis partie un peu en retard, et quand je suis arrivée, j'ai sauté dans le premier wagon qui arrivait. Et je me suis assise pour reprendre mon souffle.

-D'accord...

Je repense à ce que m'a dit Bertrand. Cette fille lui plaît. Alors, autant profiter de l'occasion pour essayer de savoir si elle est célibataire... Je décide de m'assoir sur le siège vide à côté d'elle, là où je laisse habituellement mon sac, et d'entamer la conversation.

-Tu étais à la soirée de Cléa et Thibault, je crois ?

Elle me sourit sincèrement, cette fois. Elle semble surprise que je l'ai remarquée, mais plutôt flattée.

-Oui. C'est toi que tout le monde à applaudit à la fin. Toi et ton copain.

-Oui ! La fête avait été organisée pour ressembler à celle de notre premier baiser, il y a trois ans.

-Cool ! C'est beau.

-Tu étais venue seule ? À cette soirée ? Ou avec ton copain, aussi ?

-Je n'ai pas de copain. C'est Leïla qui m'avait parlé de la soirée.

Pas de copain : bingo. Célibataire ! Ça fera plaisir à Bertrand.

-D'accord ! 

Nous passons le trajet à discuter. Elle m'explique qu'elle prend ce train depuis septembre, car elle fait un master communication dans une école juste à deux rues de ma fac. Elle a un an de moins, donc. Elle ne connaît pas beaucoup de monde sur Paris, à part Leïla. Alors elle est abonnée à plusieurs compte Instagram pour profiter des évènements culturels et sociaux de la capitale : les bonnes adresses à connaître, les concerts, les pièces de théâtres. À la fin de la semaine, elle va voir un concert avec un pianiste. 

Bien, je me dis : elle s'intéresse à tout. Elle est curieuse, et n'a pas peur de faire des sorties toute seule. Elle a vraiment l'air cool, pas prise de tête, mais pas immature non plus. Ça aussi, ça fera plaisir à Bertrand. 

Le train s'arrête. Il n'y a que trente minutes jusqu'à la gare, et elles sont passées à une vitesse folle. La fille aux cheveux bouclés me demande à quelle station de métro je me rends. Nous ne prenons pas la même. Je suis un peu déçue. 

Elle me souhaite une bonne journée et commences à s'éloigner. Je crie :

-Attends ! Tu as Instagram ?

Elle se retourne.

-Oui...

Je sors mon téléphone. 

-Comment tu t'appelles ? Pour commencer, dis-je en riant un peu nerveusement.

-Anna. 

-C'est très joli comme prénom, Anna. 

Elle prend le compliment un peu timidement, sans vraiment me regarder.

-Merci. Et toi ?

-Claire.

-Enchantée.

Elle recommence à s'éloigner, et j'insiste : 

-Attends ! Tu ne m'as pas donné ton Instagram, du coup...

-Ah oui... 

Nous échangeons nos réseaux. Elle est en privé, et elle accepte ma demande. Puis je lui souhaite une bonne journée, et la regarde rejoindre le métro. 

Je ne me sens pas très bien. J'ai l'impression de lui avoir sauté dessus, avec mes questions. J'ai insisté comme une folle pour obtenir son Instagram, alors que c'était la première fois que je lui adressais la parole. Elle a dû me prendre pour une dingue. Mais bon, ce n'est pas grave : je ne lui reparlerais jamais de ma vie. Dès demain, elle reprendra son train avant le mien, et moi le suivant, et nous ne nous recroiserons probablement pas. Je pourrais donner son Instagram à Bertrand, et s'il le souhaite, il pourra essayer de la courtiser. Peut-être aurais-je dû tout simplement dire la vérité à Anna, que j'avais un ami qui voulait apprendre à la connaître... Mais Bertrand m'en aurais voulu, d'amener les choses de cette manière, c'est sûr. 

Après tout, c'est entre eux, à présent. Si Anna ne veux pas correspondre avec lui, elle ne lui répondra tout simplement pas.

Moi, j'ai rempli mon rôle. 


Tout ce que je veux te dire [wlw][TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant