Tout ce que je veux te dire [wlw][TERMINÉE]

Tentative avortée

Tout se bouscule dans ma tête. J'en suis sûre, à présent : ce que je ressens pour Anna n'est pas de l'amitié. Je pense à elle toute la journée, même les rares fois où elle ne m'écrit pas. J'attends ses messages, et je me sens mal quand elle met trop de temps à répondre. J'ai toujours hâte de la voir, plus hâte qu'avec mes autres amis. Je lui trouve tant de qualités que ses défauts me semblent insignifiants. Quand elle est là, je perds tous mes moyens, et j'essayes de rester lucide, mais je ne sais pas. C'est comme si c'était plus fort que moi.

La personne à qui j'ai le plus envie d'en parler, c'est Antoine. Je lui parle d'Anna chaque fois que l'on se voit, à la sortie des cours. Les week-ends, aussi. Mais évidemment, je ne lui parle pas de ce que je ressens, seulement de nos conversations. Celles les plus amicales.

Je ne veux pas lui faire du mal. Je l'aime tendrement, depuis si longtemps que j'ai l'impression que c'est depuis toujours. Et si Anna captive toute mon attention, je n'en aime pas moins Antoine.

Cependant, je commence à redouter le futur. Je veux garder Antoine, naturellement. Même si Anna me plaît... Je n'imagine pas vivre sans Antoine. Mais savoir qu'entre Anna et moi, il ne se passera rien...  Cela me fait mal au cœur. En attendant, j'essayes de ne pas trop y penser. Après tout, je ne sais même pas si Anna ressent la même chose que moi. Elle a beau m'écrire toute la journée, me taquiner, sourire même quand je dis une bêtise, et m'envoyer des messages que je pourrais interpréter comme du flirt, rien n'arrive à me convaincre. Si seulement je savais, au moins, si elle aime les filles...

Deux fois, j'ai cru repérer des indices. La première fois, elle me parlait d'un jeu auquel elle joue souvent, dans lequel lorsque tu incarnes ton personnage, tu as le choix entre deux histoires d'amour : une lesbienne et une hétéro. Elle me confiait avoir choisi celle entre deux femmes. La deuxième fois, elle me parlait de la chanson ''Tu me regardes'' d'Angèle. D'à quel point cette musique résonnait avec elle.

Rien de sûr, donc. Seulement des indices.

De mon côté, j'explore cette nouvelle facette de moi que je ne connais pas. Je suis capable d'éprouver de l'attirance pour une femme. J'essayes de me remémorer des souvenirs d'enfance qui viendrait confirmer cette révélation : je crois que, petite, j'étais toujours un peu curieuse des corps des jeunes femmes, à la piscine, ou à la plage. Je me disais que c'était parce que je serais une femme un jour moi aussi, mais peut-être était-ce plus que simplement de la curiosité. Et puis, j'avais eu une amie, au lycée, perdue de vu depuis ; chez laquelle j'avais dormi une fois, qui je crois ne me laissait pas complètement indifférente. Seulement, toute mon enfance et mon adolescence, je n'étais tombée amoureuse que de garçons.

Anna est différente. Elle me fait ressentir des choses que je n'avais jamais ressenties pour une autre femme auparavant. Jamais autant. Ressentir ça me donne l'impression d'avoir des supers pouvoirs : en fait, je trouve cela merveilleux, d'être capable d'être attirée par quelqu'un, peu importe son sexe. Je me sens encore plus humaine, quelque part.

-Claire ? À table !

-J'arrive !

Toujours mon téléphone dans ma poche, je dévale les escaliers pour me rendre jusque dans la salle à manger. Maman a fait un gratin de pâtes. L'odeur du fromage grillé me fait saliver.

-Ça a été ta journée ?

-Oui merci. Et la tienne ?

-On ne peut mieux ! Je viens de signer un contrat très juteux. Un de mes clients a besoin d'un avocat pour son fils, dans le cadre d'une plainte pour vol de véhicule. Et je dispose de toutes les preuves nécessaires afin de prouver son innocence, et prouver la culpabilité d'un de ses amis. Le fils de mon client n'était que passager contre son gré. Ça ne devrait pas être un dossier trop difficile.

-Et toi, Papa ?

-Beaucoup de grippe, en ce moment. Cela m'ennuie de ne pas pouvoir prendre de nouveaux patients, mais je n'ai vraiment pas le temps...

Mes parents font tout les deux des métiers remarquables. Même s'ils ne m'ont jamais mis la pression pour choisir une voie prestigieuse, comme les leurs, je me suis mise la barre très haute, toute seule. L'édition, cela m'attire un petit peu, mais ce que je voudrais surtout, c'est écrire. Si seulement il était plus facile de vivre de ses écrits...

Mon téléphone vibre. J'essayes de le sortir discrètement sous la table :

Anna : Une fille m'a dit que j'avais de beaux cheveux aujourd'hui 🫣

Je crois que cela me rend un peu jalouse. Mais je n'ai aucune raison, il ne s'agit que d'un compliment. Je réponds, pour garder bonne figure :

Moi : C'est vrai qu'ils sont très beaux, tes cheveux

Anna : Tu ne me fais même pas rougir 🙃

Anna : vidéo

Anna : c'est beau le piano hihi

Elle est à un nouveau concert, ce soir. La vidéo montre un pianiste, virtuose, qui entame un des nombreux morceaux de Mozart. La flûte enchantée, exactement.

Je clique sur son message qui parle de rougir, et clique sur ''répondre''

Moi : Attends je vais essayer

Puis je clique sur son message qui dit que le piano, c'est beau.

Moi : C'est toi qui es belle😏

Moi : Alors, j'ai réussi ??

J'ai peur de ce qu'elle va me répondre, mais en même temps, j'ai hâte. Je souris à table.

-Tu parles avec Antoine ?

Mon père me sort de mes pensées.

-Euh... Non, avec une amie.

Maman intervient :

-Claire, nous en avons déjà parlé. Pas de téléphone à table, s'il te plaît...

Je range mon téléphone. Inutile de discuter avec elle : elle est avocate.

Dès que le repas se termine, je cours dans ma chambre pour voir ce qu'Anna m'a répondu. Mon cœur s'accélère lorsque je clique sur la notification.

Anna : Euh 🙄 pas sûr 🤣

C'est la douche froide. Ais-je été trop directe ?

Moi : Tu me brises le cœur mdrr

Anna : Noooon

Anna : GIF

Anna : Je répare pardon 🤣

Anna : Tu me fais sourire c'est déjà ça 😁

Le gif est celui d'un homme qui répare un mur avec un sparadrap. C'est exactement l'effet que ses mots ont sur moi. Je clique sur son dernier message et réponds :

Moi : c'est la consolation des pauvres ça

Anna : Mais non ! Déjà faire sourire quelqu'un, c'est beau ! Te dire que quand tu vas voir cette personne-là, hop, t'es content. C'est beau, non ?

Je me sens super déçue. C'est sûr qu'après ça, je peux deviner que ce que je ressens n'est pas réciproque du tout. J'essayes de rester un peu fière :

Moi : Non mais j'ai compris, j'ai tenté et j'ai fait un gros flop mdrrr mais hé, c'est les risques du métier

Anna : Mais non, tu n'as pas flop ! C'est juste que je pense que tu peux faire mieux. Je t'encourage à faire mieux.

Ses mots ne me rassurent plus. J'ai comme un trou dans les poumons. Je prends une grande inspiration : il faut que je me calme.

Je lui fais savoir que je retenterais une autre fois, alors. Ce que je ne lui dis pas, c'est que c'est probablement faux.