Je me dirige vers le quai de la gare, ma main gauche enfoncée dans une des poches de mon manteau. Il pleut, évidemment, alors ma main droite est elle solidement accrochée au manche de mon parapluie. Le froid mordant de ce matin hivernal se fraye un chemin à travers mes vêtements, me rappelle à chaque pas que, même si avril sera bientôt là, le temps n'est pas près de devenir plus clément.
Quand j'arrive sur le quai, il y a déjà quelques personnes qui attendent, dispersées le long des rails. Les mêmes que d'habitude : le vieil homme avec son béret, la jeune femme avec le grand manteau rouge, le quarantenaire avec son costume trois pièces. Mais son costume est mal repassé, ce matin. Et il a l'air grognon.
Je vérifie l'heure sur mon téléphone en baillant. Juste à temps. Le train arrive, les portes s'ouvrent et je m'engouffre dedans en fermant mon parapluie. Je le secoue un peu à l'extérieur avant que les portes ne se referment, pour l'égoutter. Cela m'ennuie toujours de mouiller le sol du train. Humide, il se salit plus rapidement, et je pense au personnel de ménage. Et puis, c'est dangereux pour les autres passagers, qui risqueraient de glisser...
Je me dirige jusqu'à ma place.
Anna est là, assise sur le siège que je réserve normalement pour mon sac.
-Salut, me dit-elle avec un léger mouvement de la main.
Mon cœur fait un bond. D'un seul coup, alors que je n'étais pas encore tout à fait réveillée, mon sang ne fait qu'un tour.
-Anna ? Qu'est-ce que tu fais là ? Tu as encore raté ton train ?
-Je vais prendre le même train que toi, maintenant. En fait, il arrive à l'heure à mon école aussi. Et cela nous permet de passer un peu de temps ensemble, même si ce n'est que trente minutes. Tiens, je t'ai gardé ta place...
Je sens mes joues chauffer malgré le froid. J'essaie de garder mon calme, mais sa présence me trouble. Mes mains tremblent, et mon parapluie glisse. Je n'ai pas le temps de le rattraper qu'il tombe par terre. Anna rit.
-Tu es maladroite, ce matin, remarque-t-elle.
-C'est ta faute, tu me déstabilises...
Est-ce que j'ai vraiment dit ça tout haut ? Je récupère mon parapluie et ris. Cela passera sans doute pour du sarcasme. Anna me répond :
-Je vois ça...
J'essayes vraiment de ne pas rougir, et de me calmer. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je sens ses grands yeux clairs qui m'observent, et je m'assois à côté d'elle, l'air de rien. J'ai très envie de la regarder, mais en même temps, cela me demande un effort titanesque.
-Il fait chaud, je dis, en tirant sur mon col roulé.
-C'est le chauffage, ils le mettent à fond.
-Oui, c'est vrai...
Le train démarre, et je sens une nervosité grandissante. Il faut que je lui parle, je ne peux pas rester à côté d'elle et ne rien dire. Alors, je la regarde, et tandis que j'essayes de parler, mes lèvres ne forment qu'un sourire idiot. C'est nerveux, à ce stade, je me dis à moi-même. Elle me sourit en retour, alors je lui sors ma technique habituelle pendant que j'ai encore un peu d'air :
-Ta soirée d'hier s'est bien passée ?
-Oui ! J'ai bossé le dos à la salle. Et ensuite, Leïla est venue manger des pizzas chez moi !
J'essayes de la taquiner un peu :
-Ah bah bravo ! C'est healthy, ça ! Une pizza juste après la salle !
Elle rit :
-Après l'effort, le réconfort !
Je remarque que son nez se plisse légèrement quand elle rit. Je crois que je trouve ça mignon.
-C'est mignon, tu plisses le nez quand tu ris.
Elle me sourit, mais ne réponds pas. Elle a l'air gênée. J'aurais probablement mieux fait de me taire. Nous arrivons au quatrième arrêt, déjà. Quatre personnes montent dans notre wagon, dont un adolescent, qui écoute de la musique sans écouteurs. Heureusement pour nous, il s'assoit complètement à l'arrière. J'en profites pour demander à Anna :
-Au fait, tu écoutes quoi comme musique ?
-Tout ! Et toi ?
Cela m'ennuie qu'elle ne précise pas, mais je ne veux pas avoir l'air d'insister.
-Moi, beaucoup de rock, et de chansons françaises... Un peu de musique classique et de folk, aussi.
Anna semble sincèrement curieuse :
-Cool ! Quoi comme chansons françaises ?
Je lui fais la liste de mes artistes préférés.
-Moi aussi, j'aime beaucoup Jean Ferrat ! Francis Cabrel, aussi.
J'ouvres de grands yeux. Je ne croise pas tous les jours des personnes de ma génération qui aiment les mêmes artistes que moi. Mais comme elle vient de le dire, Anna aime tout.
-Oui ! J'ai oublié de le citer, mais je l'adore aussi ! Je m'exclame.
Elle m'adresse un sourire accompagné d'un regard malicieux.
-Je marque des points, me dit-elle.
J'essayes de garder la tête froide, mais je décide de rentrer dans son jeu.
-Tous les jours, je lui réponds.
-Je passerais bientôt un niveau, alors !
Nous rions ensemble. Ces phrases ressemblent à du flirt, je crois, mais je dois rêver. C'est sûrement pour rire.
Je la trouve de plus en plus jolie. J'ai vraiment envie qu'elle m'apprécie. Comme je sais qu'elle aime les jeux, je rebondis sur sa dernière phrase :
-Oui, et après, il te faudra affronter le boss final !
-Je vais m'entraîner !!
Je hoche la tête. Mes pensées me bousculent autant que le train. Celui-ci continue son trajet, et à chaque arrêt, de plus en plus de monde monte à bord, mais je ne remarque plus rien. Je suis trop concentrée sur Anna, sur la façon dont elle parle, la manière dont ses yeux brillent quand elle raconte une histoire. Je me perds dans ses mots, dans ses gestes.
Quand le train arrive finalement à destination, nous descendons ensemble et marchons vers le métro.
-Tu prends bien le même train à la même heure, demain ? Me demande-t-elle.
-Oui, c'est ça.
-Alors à demain.
-À demain !
En la regardant s'éloigner, je ressens un mélange de chagrin et de soulagement. Je voudrais qu'elle reste, mais en même temps, je déteste perdre tous mes moyens comme ça. La sensation est agréable, mais je me sens vite ridicule. Et puis, je ne devrais pas ressentir ce que je ressens. Pas dans ma situation.
J'arrive jusqu'au portail de l'université, où Antoine m'attend. Je saute dans ses bras. Il sent la menthe. J'adore cette odeur.
-Salut CC, me dit-il avant de me donner un baiser.
Je ne peux pas vivre sans lui.
Mon téléphone vibre.
-C'est Anna ? Me demande Antoine.
J'actionne l'écran.
Bien sûr que c'est elle.
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Tout ce que je veux te dire [wlw][TERMINÉE]
RomanceClaire, étudiante en lettres à Paris, en couple avec Antoine, à déjà tracé toute sa vie. Et tout lui semble parfait, jusqu'à l'arrivée d'Anna. Inspirée d'une histoire vraie. Résumé plus long : À 22 ans, Claire jongle entre la vie tranquille de la c...