I don't wanna be your friend

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Anna est en couple.

Anna est en couple. Depuis trois ans, aussi longtemps que moi et Antoine. Ce parallèle me fait sourire tristement : si nous nous étions rencontrées plus tôt...

Non, je n'ai pas le droit de penser comme cela.

Anna est en couple. Avec une certaine Agathe. C'est pour ça, qu'elle m'avait dit qu'elle n'a pas de copain : elle a une copine. Je me demande à quoi celle-ci peut bien ressembler. Est-elle brune, blonde ? Grande, petite ? Je me demande si c'est elle jolie. L'est-elle plus que moi ? Je voudrais l'être davantage. Mais c'est idiot... Qu'est-ce que j'y gagnerais ? Ce n'est pas ça qui me ferait plaire à Anna. Il n'y a jamais eu de compétition.

Anna est en couple. Avec une fille : au moins, je ne me suis pas trompée sur ça. Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ? Peut-être qu'elle voulait d'abord s'assurer que j'étais digne de confiance. Naturellement, je suis heureuse pour elle... Mais je me sens quand même un peu triste. Je pense que je me sentirais mieux si je pouvais pleurer, au moins un petit peu, mais je n'y arrive pas.

Je n'y arrive pas parce que rien n'était réel. Parce que tout ce que je me suis imaginée sortait justement, de mon imagination. J'ai quand même cru que je lui plaisais, au moins un petit peu, et j'espérais quelque chose de beau. Mais tout était faux. Depuis le début, ce n'était que de l'amitié.

Et finalement, je suis ok avec ça ; de toute façon, je n'y peux rien, et je trouve déjà cela magnifique les efforts qu'elle fait pour être mon amie, alors que l'on se connaît depuis si peu. Je pense que c'est pour ça que j'ai été si confuse, parce qu'elle s'est tellement vite impliquée, je n'ai pas l'habitude, je crois.

Rien n'était réel, et pourtant, mes sentiments l'étaient, eux. Ils le sont toujours.

Mais c'est sûrement plus raisonnable comme cela. C'est vrai : elle me plaît... Mais j'aime Antoine. Si ce que je ressens pour Anna avait été réciproque, elle aurait été malheureuse, car je ne souhaite pas quitter Antoine. Et je ne veux pas qu'elle soit malheureuse.

Durant les jours qui suivent, Anna entame des examens et je ne la vois plus dans le train. Je profite de cette accalmie pour essayer de me reconcentrer sur mes cours, sur mes amis. J'explique à Julie que je m'étais fait des idées, et à Bertrand, aussi. Un soir, dans notre café, comme d'habitude. Il m'avait dit : 

-Désolé pour toi. Tu vas continuer à lui parler ?

Et j'avais répondu :

-Je vais peut-être lui parler un peu moins, pas parce que je n'en ais pas envie, juste le temps de prendre du recul. Mais si j'arrive à calmer ce que je ressens, le fait que je ne lui plaise pas n'enlève rien au fait que c'est une fille géniale. On s'entend super bien, on a développé une forte complicité très rapidement, et on commence à se connaître plutôt bien ; ce serait dommage de jeter tout cela à la poubelle simplement parce qu'il ne pourra jamais y avoir plus que de l'amitié entre nous. Justement parce que tout ça, c'est déjà vraiment bien.

Bertrand ne comprend pas que je puisse souhaiter rester son amie. Il trouve cela hypocrite, et peut-être que c'est un peu le cas. Peut-être qu'il a raison. Peut-être que je ferais mieux de m'éloigner.

Assise au fond de l'amphithéâtre, j'écoute attentivement M. Thomas introduire le romantisme et l'œuvre de Victor Hugo. Les mots de Balzac résonnent encore dans mon esprit, mais je sais que je dois avancer, me concentrer sur les nouveaux sujets. Les dernières semaines ont été un tourbillon d'émotions et de distractions, mais aujourd'hui, je suis déterminée à être plus assidue. Le brouhaha de la salle s'estompe alors que M. Thomas commence à lire un extrait des Misérables :

"Marius n'avait pas quitté sa place. Ce qu'il éprouva en ce moment échappe à la langue humaine.

C'était Elle.

Quiconque à aimé sait tous les sens rayonnants que contiennent les quatre lettres de ce mot : Elle.

[...] il lui semblait qu'il avait perdu son âme et qu'il venait de la retrouver. "

Je prends des notes frénétiquement. Cléa, assise à côté de moi, me sourit et me passe quelques feuilles de ses propres notes. J'ai pris beaucoup de retard. 

Pendant les pauses entre les cours, je m'efforce de travailler sur un projet qui me tient à cœur depuis un petit moment. J'ouvre mon carnet et commence à esquisser les grandes lignes d'une histoire d'amour entre deux femmes, dont l'une découvre tardivement qu'elle est attirée par les femmes. Chaque mot, chaque idée est inspiré par mes propres sentiments et expériences, même si je tente de créer des personnages distincts de nous. Peut-être que ce récit me permettra de prendre le recul nécessaire, et de me comprendre mieux.

Les messages d'Anna continuent d'arriver tout au long de la journée. Ils sont une part essentielle de ma routine, même si c'est différent, maintenant. Parfois, je sens mon cœur se serrer en lisant ses mots, surtout quand ils sont teintés de cette ironie légère qui me fait sourire et m'attriste en même temps. Mais je m'efforce de mettre mes sentiments de côté, au moins pour l'instant.

Pendant un séminaire, je sors discrètement mon téléphone et vois un message d'Anna.

Anna : Salut ! Qu'est-ce que tu fais de beau aujourd'hui ?

Moi : En cours de littérature. On parle de Hugo. Et toi ?

Anna : Oh, sympa ! J'ai deux heures de pause entre deux examens, je m'ennuie un peu 😅

Je souris, reposant rapidement mon téléphone pour ne pas me faire remarquer par M. Thomas. Il explique maintenant l'importance du contexte historique dans les œuvres de Hugo, et je tente de me replonger dans le sujet. Je prends des notes détaillées, note chaque référence, chaque nuance que le professeur mentionne. Je ne veux plus être cette étudiante distraite, perdue dans ses pensées et ses messages. Je dois me reconcentrer sur mes études, mes projets, mon avenir dans l'édition et l'écriture.

Chaque soir, en rentrant chez moi, je prends quelques minutes pour relire les messages d'Anna et réfléchir à la journée. Parfois, j'ai l'impression de mener une double vie : celle d'une étudiante sérieuse et déterminée, et celle d'une jeune femme aux prises avec des sentiments nouveaux et complexes. Mais peu importe à quel point c'est difficile, je suis déterminée à naviguer à travers ces eaux tumultueuses. De toute façon, je n'ai pas vraiment le choix. 

Allongée sur mon lit, je traîne sur YouTube en même temps que je prends des notes sur l'histoire d'amour que je pense écrire. Je découvre Girl in Red. Très en retard, car elle chante depuis de nombreuses années. Je démarre sa chanson I wanna be your girlfriend.

''Oh Hannah, I wanna feel you close...''

Même prénom. Presque comme si c'était fait exprès.

''I don't wanna be your friend, I wanna kiss your lips

I wanna kiss you until I lose my breath''

Alors que la musique résonne en fond dans ma chambre, je ne peux m'empêcher de me dire : 

J'aurais tant aimé qu'un compromis soit possible.

Mais après tout, tant pis. Ce n'est pas comme si je m'attendais vraiment à quoi que ce soit, depuis le début. Ce que je souhaitais, c'était lui révéler ce que je ressens. Et même si elle a deviné qu'elle me plaisait, après la sortie au musée d'Orsay....

Je suis loin de lui avoir tout dit.

Tout ce que je veux te dire [wlw][TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant