L'appel du muguet.

261 23 32
                                    




Hyunjin était sur ce dossier depuis des semaines, si ce n'est des mois. L'appel d'offre avait eu lieu quelques jours plus tôt l'amenant lui et son partenaire à se déplacer comme un seul corps afin d'offrir la meilleure présentation possible. Leurs deux secrétaires avaient évidemment été sollicités pour le voyage, les aidant dans leurs journées, dans leurs tâches et dans chaque petit rien qui finissait par faire un tout inestimable. Jisung n'aimait pas vraiment cela, les mondanités, les rencontres, mais il ne pouvait pas refuser sa présence au client quand le chèque annonçait autant de chiffres sans qu'aucune virgule ne soit perceptible.

Hyunjin avait travaillé comme un forcené durant les jours précédents et son secrétaire n'avait pas fermé l'œil non plus, rendant son homme de main plus silencieux qu'à l'accoutumé.
Jeongin était un bêta drôle et cinglant, contrastant drastiquement avec la présence douce, mais toujours remarquée de Félix. Pour autant, les deux s'entendaient bien même si ce dernier ne pouvait s'empêcher de se demander s'il s'était un jour passé quelque chose entre lui et l'objet de toutes ses convoitises.

En les regardant bien, on ne pouvait nier que le supérieur et son secrétaire semblaient inséparables. Leurs collègues les plus proches les appelaient même tic et tac. Aussi différents que pour autant toujours collés l'un à l'autre, comme une relation tenue quasi secrète dont tous pouvaient observer la forme sans jamais réellement réussir à en saisir le fond. Dans ces moments de contemplations, surtout lors de leurs réunions tardives, il était même déjà arrivé à Félix de sentir l'enivrante effluve de vétiver sur l'odeur discrète et sucrée de fraise que portait son collègue.

Cela le remplissait toujours d'une colère qui le faisait plus culpabiliser qu'elle ne le le soulageait, pour autant, elle était inévitable, notamment car l'oméga avait la certitude qu'Hyunjin ne voudrait jamais de lui. Et comme pour venir valider ses propres pensées, il savait de son ami Jisung que les parents de son supérieur indirect avaient des attentes bien précises quant à l'oméga qui partagerait un jour sa vie.

L'epsilon était de ces lignées si distinguées et hautes placées qu'on ne pouvait qu'inconsciemment les séparer du reste de la population. De par leur renommée, leur prestance, mais également et malheureusement pour lui, leur élitisme... Hyunjin devait déjà avoir sa liste d'omégas prête à être triée et Félix n'y pouvait rien. C'était une fatalité qui le consumait nuit et jour depuis des années.

Lui était d'une famille modeste, si ce n'est initialement prolétaire, d'agriculteurs omégas qui avaient grandi au fin fond des terres battues et toujours humides du centre de la Corée du Sud, travaillant d'arrache pieds pour envoyer leur fils unique dans une grande université séoulite. Leurs sacrifices l'avaient propulsé, force de leurs bras et de leurs convictions, au devant d'une vie qu'ils n'avaient jamais connue et dont ils n'étaient en rien jaloux, les rendant plus fiers qu'ils auraient un jour pensé être.

Plusieurs années plus tard, Félix se retrouvait donc assis sur cette chaise, notant ce qui le rendait malgré lui si amère. Il regardait ce qu'il ne pouvait pas contrôler et ce qui le tourmentait à bien des égards.

Jisung avait eu bien des occasions d'observer ses tourments et même s'il avait toujours passé sous silence sa découverte et ses interprétations, il avait souvent essayé d'implicitement rassurer son ami.
Le dirigeant était toujours cette présence silencieuse et constante qui lui permettait de ne pas le laisser se sentir trop seul, mais cette fois-ci, sur cette scène-là, il ne pouvait rien pour Félix et l'odeur quasi insoutenable de muguet aigre qui recouvrait le restaurant n'en était que la difficile témoin.

Hyunjin et Jeongin riaient en cœur d'une blague qui leur était secrète et qui, pour Félix, ne pouvait plus laisser de place au doute, il se passait forcément quelque chose. L'oméga était jaloux, terriblement. Il l'avait toujours été.
Pour autant, tout au fond de lui, il était certain d'avoir déjà vu le directeur Hwang s'attarder un peu trop sur son odeur lorsque celle-ci recouvrait celle des autres. Il l'avait vu l'observer à la machine à café de Jisung ou encore dans la salle de pause commune. Il avait vu ses regards insistants, sa gorge se serrer lorsqu'un homme lui frôlait avec insistance la main pour le séduire. Il n'avait rien imaginé, Hyunjin ne pouvait pas l'avoir rendu fou à ce point. Si ? Était-ce possible ?

Blind spot at Joha Joha societyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant