Jamais assez, mais toujours de trop.

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Félix avait déambulé longtemps dans les couloirs de son service, plusieurs minutes, plusieurs heures, il n'aurait su le dire. Inconsciemment il avait espéré tomber sur quelqu'un qui puisse tarir un minimum son chagrin, voire l'aider à s'épancher, sans vraiment de succès. L'heure commençait à être tardive et il se sentait bloqué et perdu dans une boucle temporelle, comme si tout s'était arrêté en cette fin d'après-midi. Il ne savait dire exactement l'heure qu'il était, ni même le jour.

Il avait vu les lumières s'éteindre d'étage en étage puis, finalement, les lumières des commerces pour finir par laisser place aux lampadaires caractéristiques de l'avenue dont son immeuble faisait l'angle. De ceux qui illuminaient les cerisiers encore en fleurs...

Son regard s'était perdu longtemps sur l'étendu d'âmes qui vivaient aux travers des fenêtres de son bureau et il ne put refouler la bourrasque de larmes qui l'acheva dans toute son intériorité quand il aperçut un couple marcher main dans la main sous les arbres fleuris. Les larmes bousculèrent tout sur leur passage, détruisant toute bribe de positivité en lui. Félix se sentait si mal qu'il aurait pu en mourir. Il se sentait honteux, sali.

Il savait ne pas mériter un tel traitement et pourtant, tout au fond de lui, d'une voix qu'il détestait entendre, il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'avoir pensé être avec Hyunjin était une prétentieuse erreur. Jamais il ne pourrait le satisfaire, jamais il ne pourrait l'atteindre. Il se l'était déjà dit quelques fois tout en se persuadant du contraire et maintenant, cela le frappait de plein fouet. Ils n'évoluaient pas dans le même monde. Ils travaillaient juste dans le même immeuble, tout au plus.

Félix continua d'observer le boulevard qui s'étendait à perte de vue devant ses yeux malgré les larmes silencieuses qui maculaient ses joues. Était-ce cela sa vie, son avenir ? Être condamné à ne jamais en voir le bout ? Toujours tenter d'obtenir sans jamais réussir à saisir ?

Félix était perdu dans ses songes les plus sombres quand, comme répondant à son premier appel interne, quelques coups furent portés à sa porte. Sans préambule ni attente de réponses, Jisung avait surgi de nulle part. Il était tard et Félix ne savait même pas que son ami était encore dans le bâtiment, il n'avait aperçu aucune lumière sous la porte de son bureau pourtant. Alors que faisait-il ici ?

Avant même qu'il ne puisse y penser plus, Jisung se jeta contre lui, ou plutôt, il enveloppa Félix de ses bras puissants et protecteurs et l'alpha le couvra d'une telle chaleur que Félix se mit à trembler de plus belle, faisant exploser sur sa constellation un amas de larmes qui semblaient intarissables. Son chagrin apparaissait viscéral et comme un enfant profondément blessé, il se recroquevilla contre le corps réconfortant de son ami. Il ne pouvait plus tenir seul, ça en était trop.

- J'ai senti... J'ai senti tes fleurs se fâner comme jamais je ne pensais un jour pouvoir les sentir... L'odeur est si forte dans les couloirs que j'ai cru te trouver mort Félix... J'ai eu la peur de ma vie... Que s'est-il passé ?

Jisung le berçait comme on berce un jeune adolescent qui vient de vivre son premier grand chagrin, de ceux qui laissaient leurs traces, indélébiles. Il lui caressa les cheveux et Félix se maintenu comme il le pouvait à son corps, arrachant presque sa chemise tant la douleur qui le transperçait était vive.

Les deux hommes finirent par tomber au sol avec lenteur et Jisung continua quelques balancements jusqu'à ce que Félix puisse commencer à se calmer et enfin, pouvoir lui expliquer à minima la situation. Sa respiration était courte et son corps tremblait encore, mais son odeur demeurait moins mortifère.

Jisung l'avait déjà entendu aux informations, rarement mais suffisamment de fois pour rendre le sujet inquiétant. Des âmes-soeurs qui avaient fini par mourir de chagrin de s'être perdues. Alors ce soir, en sentant cette odeur, il avait ressenti une peur qu'il ne s'était jamais connu et c'est son loup, affolé et impatient qui avait fini par lui faire comprendre que quelque chose de grave s'était produit. En y pensant vraiment, il commençait à être inquiet pour Hyunjin également, pour lui, il ne faisait aucun doute qu'ils étaient destinés, alors, dès qu'il le pourrait, il faudra qu'il s'inquiète de son état à lui aussi.

Blind spot at Joha Joha societyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant