Une lettre (2/2)

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Ne pouvant la voir à l'œuvre, mes jambes se déplacèrent toutes seules pour courir à travers l'hôpital afin de ne pas voir ce massacre.

Chaque être humain censé serait en mesure de détester l'hôpital. Après tout, n'était-ce pas là-bas que nombre de personnes ont perdu un proche ?

L'hôpital symbolisait un théâtre insipide de la torture, de la souffrance, de la douleur et de la maladie. Mes genoux devinrent faibles et je tombai à terre, en sanglotant et en gémissant de douleur.

Puis, je sentis une main me toucher l'épaule chaleureusement. Je relevai ma tête et une vieille femme sortit un vieux mouchoir à carreaux verts et rouges de sa poche pour essuyer mes yeux gonflés et endoloris : « Madame... Que vous arrive-t-il ? », dit-elle d'une voix douce et vibrante, à l'air peinée.

Un gémissement de douleur s'échappa de ma bouche tandis que les larmes continuaient à couler en abondance de mes yeux rougis par les larmes. Elle se mit à ma hauteur et me serra dans ses bras avant de me relever : « Est-ce qu'un de vos proches a connu un destin funeste ? », demanda-t-elle.

« O... Oui... Mon mari... Il est mort. À tout jamais. Je ne le reverrai plus. Pourquoi ? Pourquoi ? Est-ce que je mérite de le perdre ? C'est injuste... Il ne mérite pas de mourir. »

Une expression de tristesse était lisible dans ses yeux, comme si elle compatissait et qu'elle comprenait ma souffrance. Mes yeux étaient trop embués en raison de mes larmes pour que je puisse nettement la voir. J'avais qu'une image floue d'elle.

Au bout de quelques minutes, les larmes cessèrent de couler et je pus enfin la voir distinctement. Il s'agissait d'une femme à la chevelure de feu dans la cinquantaine, avec de grosses lunettes carrées noires aux épaules larges et carrées.

Toutefois, elle avait une posture attentive et son regard était tel une oasis où toute personne en détresse pouvait être accueillie.

En baissant le regard, je remarquai une étiquette carrée blanchâtre, placée sur sa blouse blanche, indiquant « Réceptionniste ». Un air grave se dessina sur son visage : « Quel était le numéro de chambre de votre mari ? »

« La chambre 607. »

« Votre mari était Monsieur Auberivière ? »

Ne pouvant répondre en raison de l'émotion qui était trop intense, je ne fis que hocher de la tête. Son regard devint encore plus doux et attentif : « Malgré sa maladie, votre mari était gentil et agréable avec tout le personnel. J'ai eu la chance de le connaître et il m'avait même offert un bracelet. »

Elle me montra le bracelet noir abîmé attaché à son poignet fin avec un sourire qui se dessinait de ses lèvres jusqu'à ses oreilles. Je n'étais qu'en mesure de lui adresser un sourire de façade. Je ne pouvais me résoudre à entendre la fameuse formulation « était ». Je ne pouvais ni m'y habituer, ni me résoudre à l'idée qu'il était mort.

Quelque part au fond de moi, j'espérais toujours qu'il se réveillerait, comme s'il s'agissait d'une mort de quelques minutes ou d'une mauvaise blague de sa part. Elle caressa mon bras et me fit un subtil signe de la tête m'indiquant que je devais la suivre jusqu'à l'accueil. Une fois arrivées, elle se pencha et commença à chercher quelque chose parmi de nombreuses boîtes en carton, de la même manière que l'on chercherait du foin dans une botte d'aiguilles. Au bout d'une dizaine de minutes, un cri de victoire s'échappa de sa bouche tandis qu'elle m'adressa glorieusement et fièrement une boîte en bombant sa poitrine :

« Qu'est-ce que c'est ? »

« C'est une boîte. »

« Et donc ? Pourquoi me la présentez-vous ? »

« C'est la boîte des affaires personnelles de votre mari. »

Elle la déposa sur le comptoir alors que mon attention se porta sur une boîte avec écrit en grandes lettres d'or « Pour ma chérie ». Mes sourcils se froncèrent d'emblée alors que je saisis la boîte avec précaution :

« Il nous a demandé de vous la donner à sa mort. »

« Pourquoi ? Quand a-t-il demandé cela ? »

« Lors de la garde de nuit hier, l'infirmière chargée de votre mari avait reçu cette instruction de sa part. Il avait réellement insisté sur le fait que le contenu entier de cette boîte serait très important pour vous. »

« D'accord. Merci d'avoir suivi ses instructions. »

« Je vous en prie. C'est mon travail. Tenez. »

C'était mon dernier souvenir de lui, la dernière chose qu'il me restait, un souvenir précieux bloqué à travers les lignes du temps. J'eus l'impression que la boîte en carton allait me tomber des mains en la saisissant. Je m'empressai de me rendre dans sa chambre, la chambre 607, qui se situait au bout du corridor du rez-de-chaussée. J'accélérai le pas avant d'arriver devant l'entrée. En tournant la serrure rapidement, quelle fut ma stupéfaction alors que je découvris qu'il avait disparu. « Mon mari était mort », murmurai-je à voix basse. Bel et bien mort.

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