Aller de l'avant

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"L'amour, telle la douleur nue, vite asséchée, garde parfois un regard cannibale."
- Assia Djebar

Cinq ans séparaient désormais aujourd'hui la mort de mon mari d'une tumeur au cerveau. Cinq ans séparaient à présent aujourd'hui de la découverte et de la lecture de la lettre, témoignage ultime de son amour (et mon dernier souvenir de lui). Cinq ans séparaient dorénavant aujourd'hui de la découverte de son coffre-fort.
Quatre ans séparaient dorénavant aujourd'hui l'ouverture de ma parfumerie, la parfumerie Auberivière, dans la ville de Grasse. Quatre ans séparaient à présent aujourd'hui la création d'un parfum avec une cliente pour son mari, quelques jours avant la mort de ce dernier, trois semaines après, d'une tumeur au cerveau. La mort de mon mari, survenue cinq ans auparavant, rythmait ma vie. À son décès, je n'avais que trente-cinq ans. Il avait été mon premier amour, mon premier petit ami, mon premier baiser échangé. Il avait été l'unique, le premier à faire battre mon cœur, le premier à me donner vie. La perte d'un mari est une épreuve éprouvante que personne ne pourra jamais comprendre.
Dans sa dernière lettre, il m'avait demandé d'aller de l'avant. « Continue à vivre, continue à être la femme forte, aimante et inspirante que tu es », était la phrase qui était inscrite dans mon cœur et dans mon âme, mais qui résonnait également de temps à autre dans ma tête. Cette phrase, que beaucoup pourraient juger absurde, était désormais ma devise, une devise guidant ma vie. Meurtrie à la suite de sa mort, j'avais décidé de quitter ma ville natale, Bayonne, pour la ville dans laquelle vivait ma mère : Grasse. Dès mon plus jeune âge, je pensais avoir été abandonnée par cette figure maternelle. Ce n'est que des années plus tard, à notre rencontre, que j'avais appris que cette séparation avait été forcée. Voulant nouer des liens indéfectibles, ma mère me proposa d'emménager avec elle, dans sa petite maison provençale, à Grasse. Ayant accepté, je décidai donc de me consacrer à ma nouvelle passion. Subjuguée par les parfums, les fleurs et les fragrances, j'ouvris la parfumerie Auberivière. J'avais utilisé mon nom marital comme hommage à Adam, à qui je voulais dédier la fin de ma vie et pour qui je vivrais. Ma parfumerie gagnant du succès, je reçus un jour un appel d'une cliente. Un peu plus tard, j'appris que cette même cliente, dans la quête du parfait mélange olfactif, souhaitait composer un parfum pour son mari, qui était atteint d'une tumeur au cerveau. Nous nous étions reconnues à travers les pièges que la vie nous tendait.
L'ironie du sort fut que son mari trouva la mort de sa maladie quelques semaines après que nous nous liâmes d'amitié. Ma vie avait définitivement été bouleversée en un rien de temps. Entre la mort d'un être-cher, le rétablissement de la vérité et une amitié naissante, j'allai bien sûr de l'avant. « Continue à vivre, continue à être la femme forte, aimante et inspirante que tu es », me disait Adam, mon défunt mari. Finalement, un jour, j'eus une idée. En cherchant dans des cartons, j'avais retrouvé le vieux coffre-fort que m'avait laissé mon mari à sa mort. Il était un peu poussiéreux et terreux, mais il contenait toujours la somme d'argent que j'avais comptée un an auparavant. J'avais légèrement oublié son existence, mais, poussée par mon amie, je pus trouver une idée afin d'en faire un bon usage. Adam me disait toujours qu'il fallait aider son prochain, qu'il fallait être généreux et que chaque action comptait. En tenant le coffre-fort dans les paumes de ma main, une idée germa dans son esprit meurtri : une idée qui allait changer sa vie et celle des autres pour toujours. Je sentis une lueur d'espoir percer l'obscurité qui l'entourait. Il fallait aller de l'avant, alors j'avais décidé d'utiliser cet argent à bon escient, comme l'aurait voulu Adam. Je devais aider les autres, ne serait-ce que par un petit geste.

Le cœur en lettresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant