Peau de chagrin

7 1 0
                                    

« De nos jours, on peut survivre à tout, sauf à la mort »
- Oscar WILDE

La riche senteur des fleurs était répandue dans la parfumerie. La subtile fragrance des anémones se mêlait parfaitement à celle des orchidées et des roses. Comme à mon ordinaire, je passais ma journée à ranger les différents flacons en cristal, en plastique, en verre, en aluminium, qui étaient à ma disposition sur les différentes étagères en bois. Mais également à trier les différentes notes et à composer de nouveaux mélanges floraux captivants. Tandis que je versais des extraits de vanille à des extraits de rose pour une commande, le téléphone fixe sonna d'un coup :
— Bonjour. Vous êtes bien à la parfumerie Auberivière. Marie Auberivière à l'appareil, je vous écoute. Est-ce pour un renseignement ou pour une commande ?
— Marie...
De la personne qui avait appelé, je ne pouvais distinguer que des sanglots incessants et des reniflements étouffés :
— Qui est-ce ?
— C'est moi, Aude.
Soudain, les images de la journée que nous avions passée ensemble, qui remontait désormais à trois semaines, firent surface dans mon esprit :
— Pourquoi pleures-tu Aude ?
— Mon mari... Il est mort ce matin...
Cette phrase n'était bien que trop familière. Alors, ma conversation à l'hôpital avec la réceptionniste résonna dans ma tête. Je ne pouvais pas effacer la mort de son mari, mais j'avais le pouvoir de la consoler :
— Je suis désolée, Aude. Si tu veux parler, tu peux venir à la parfumerie. Je t'attendrai ici.
— D'accord, merci beaucoup, Marie. J'arrive.
Des sentiments contradictoires enfouis refirent surface. Vivre de nouveau cette situation après un an était assez étrange. Toutefois, voir une personne subir les mêmes souffrances que moi me chagrinait et me faisait penser de nouveau à Adam. Je ne l'avais pas oublié, au contraire. Mais, me dire que le mari d'une autre était mort de la même manière déclencha un sentiment d'injustice à l'intérieur de mon cœur. Sans que je m'en rende compte, la porte en bois (accompagnée du son de la sonnerie) s'ouvrit. Face à moi se trouvait Aude en pleurs.
Elle me regardait avec des yeux emplis de tristesse et de détresse, laissant échapper un sanglot étouffé avant de murmurer : « Il a quitté ce monde ce matin. Il est mort peu avant mon arrivée à l'hôpital. » À cet instant, je me revoyais, l'ancienne Marie aux yeux endoloris pleurant sur le sol du centre hospitalier, enlacée par une réceptionniste attentive et douce. La douleur d'Aude résonnait en moi, ravivant des souvenirs d'une perte similaire, un an auparavant. Je restai figée, partagée entre le désir d'apporter du réconfort et la crainte de ne pas trouver les mots justes.
Le silence se fit entre nous, chargé de souvenirs et de chagrin partagé. Je m'approchai lentement d'elle, mes mains cherchant les siennes dans un geste de soutien silencieux. Aude leva les yeux vers moi, cherchant peut-être une lueur d'espoir au milieu de cette mer de larmes et de douleur. Dans ce moment de tristesse partagée, je compris que parfois, la présence silencieuse et la chaleur d'une étreinte valent bien plus que des mots :
— Que vais-je bien pouvoir faire Marie ? Je n'avais que lui et voilà qu'il est parti.
— Je suis déjà passée par là, Aude. Je sais que tu pourras aller de l'avant.
— Comment as-tu pu t'en sortir ?
Comment ai-je pu m'en sortir ? C'était une question énigmatique dont je n'avais pas la réponse. Comment ai-je pu m'en sortir ? Moi-même, je ne le savais pas. Mes doigts caressèrent son visage d'un mouvement doux tandis qu'ils essuyaient ses larmes qui s'agglutinaient sur ses joues :
— Tu es une femme forte et vaillante. Je sais que cela peut paraître dur au début, mais j'ai foi en toi, j'ai foi en ton âme. Je sais qu'il te sera possible de t'en sortir de la meilleure et de la plus forte des manières.
— Comment ?
— Tu dois d'abord accepter que son jour fût venu. Le plus important après la mort d'un proche est le développement personnel. Tu dois avancer. Il est impossible de changer le passé. En revanche, il est possible d'avancer et d'oublier le passé. Tu trouveras un moyen de t'en sortir. Tu es bien plus forte que tu ne le crois.

Les larmes arrêtèrent de couler sur ses joues alors qu'un sourire se dessina sur ses lèvres ensanglantées qu'elle ne cessait de mordre depuis son arrivée :
— Tu as raison, dit-elle. Je vais pouvoir m'en sortir.
— Les épreuves ont pour but de forger. Il n'y a que deux buts dans la vie : vivre et aimer. Vous vous aimiez, n'est-ce pas ?
— Effectivement. Nous nous aimions plus que les fleurs aiment le soleil.
— Je suis sûre qu'il est triste d'être mort de cette manière et de te laisser ainsi.
— Oh ! Je le pense bien !
— Tu réussiras à aller de l'avant comme j'ai pu le faire. Il faut avancer. Tu dois avancer.
Nous nous étions éloignées. Ses yeux croisèrent les miens. Sa respiration se faisait rauque :
— Est-ce que la mort de ton mari t'a énormément abattue ?
— Si sa mort ne m'avait pas abattue, je n'aurais jamais déménagé.
— C'est une question bête, excuse-moi.
Nos regards ne cessèrent de se croiser dans le silence le plus complet et le plus pesant possible. L'atmosphère était oppressante, méritant d'être coupée au couteau. Mes mains tapotèrent mon tablier tâché tandis qu'elle m'interpella :
— Ne m'avais-tu pas dit que ton mari t'avait laissé une lettre à sa mort.
Derrière lui, il avait laissé une lettre qu'il avait écrite ainsi qu'un petit coffre-fort rempli d'argent.
— Qu'as-tu fait de cet argent ?
En réalité, à cause de l'émotion trop vive, j'avais presque oublié l'existence de ce petit coffre-fort que je gardais et que je cachais précieusement. Je ne l'avais même pas mentionné à ma mère :
— Rien. J'avais un peu oublié son existence. Il avait laissé une note avec, me disant que je pouvais en faire l'usage que j'en voulais.
— Pourquoi ne pas en faire don ?
— En faire don ?
— Ce serait une bonne initiative. Cela permettrait d'aider des personnes malades ou dans le besoin.

Et alors, une idée prit naissance dans mon esprit...

Le cœur en lettresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant