Maman ? (1/2)

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"Rien au monde ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime. »
-               Albert CAMUS

La cuisine, cœur battant de la maison, exhalait des effluves envoûtantes d'épices et d'herbes fraîches, probablement achetées au marché. Les carreaux de faïence qui habillaient les murs reflètent la chaleur des feux de cuisson, tandis que des jarres en terre cuite renferment des trésors culinaires hérités de recettes séculaires. Un escalier en colimaçon menait à l'étage supérieur, où se trouvaient certainement des chambres qui étaient parées de tissus chatoyants et de meubles en bois sculpté. Les balcons offraient une vue imprenable sur la ville en contrebas, tandis que les volets entrebâillés laissaient entrer les brises fraîches parfumées du soir. Le toit-terrasse, véritable havre de paix suspendu entre ciel et terre, était agrémenté de pots de terre cuite abritant des plantes aromatiques et des cactus fleuris.
Des lanternes en fer forgé diffusaient une lueur tamisée à la tombée de la nuit, créant une ambiance envoûtante propice à la contemplation et à la méditation.
Dans la cour intérieure, un minuscule bassin d'eau scintillait sous les rayons du soleil, attirant les oiseaux qui viennent s'y désaltérer. Des bancs de pierre invitaient à la détente, tandis qu'un citronnier étendait ses branches généreuses au-dessus de la fontaine, dispensant une ombre bienvenue lors des chaudes journées estivales.
Nous étions assises autour d'une table sculptée à la main depuis une bonne dizaine de minutes. Aucune de nous deux ne souhaitait parler, ou du moins, n'avait pas la force ni le courage de parler. Je décidai donc de briser le silence :
— Est-ce que je t'ai manqué ?
Sa tête se releva et elle me fixa dans les yeux avec un regard d'appréhension et de tristesse. Quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front. Elle prit une profonde inspiration avant de répondre d'une voix douce et légèrement tremblante :
— Oh, Marie, ma belle enfant. Tu es devenue une jeune belle et admirable femme. Oui. Tu m'as énormément manqué, ma Marie.
— Alors, pourquoi n'as-tu pas cherché à me retrouver plutôt ?
— Je ne pouvais pas.
— Pourquoi donc ?
Elle marqua un instant de pause durant lequel elle ne cessait de respirer et d'expirer bruyamment. Puis, elle prit mon visage entre ses mains tremblantes :
— Parce que je pensais tout simplement que tu étais heureuse avec tes grands-parents
— Certes, je l'étais. Mais, ma joie aurait été plus immense encore si tu étais là à mes côtés avec papa.
— Ton père était là-bas. Il travaillait seulement très longtemps dans son usine.
— Je le sais. Lui au moins, il venait me voir chaque fin de semaine. Comment as-tu pu ?
— Marie...
— Comment as-tu pu m'abandonner ?
Une larme coula le long de sa joue tremblante. Se sentait-elle coupable ?
— Je ne t'ai pas abandonné. C'est ton père qui voulait que je reste ici.
— Crois-tu vraiment que je vais croire cela ?
— Ma chère Marie, je sais que tu te demandes pourquoi je t'ai envoyée chez tes grands-parents à marseille. Cette décision n'avait pas été facile pour moi, mais c'était nécessaire et obligatoire. Tes grands-parents étaient des personnes exceptionnelles et mûres qui pouvaient t'offrir l'amour et l'attention dont tu as besoin en ce moment. Mes parents avaient insisté pour que je reste ici avec eux... Ton père m'avait suggéré de te laisser aller avec lui chez ses parents. Alors, je l'ai laissé t'emmener. Tes grands-parents étaient dans la capacité de te fournir un environnement stable et chaleureux pendant que je devais m'occuper de mes parents malades qui n'avaient que moi.
— Je comprends ta décision. Pourtant, tu aurais pu venir me chercher ou au moins, me rendre visite.
— Pourquoi ne pas avoir demandé à papa ? Lui, il avait de l'argent.
— Ton père donnait tout son argent à tes grands-parents pour qu'ils puissent s'occuper de toi et t'acheter tout ce que tu voulais. Tes grands-parents ne voulaient pas que je m'occupe de toi. Je n'avais pas d'argent pour prendre l'autobus. De plus, les deux villes étaient très éloignées. Ton grand-père et ta grand-mère ne me portaient pas avec affection dans leur cœur. Ils ne voulaient pas que je vienne te rendre visite... 
— Pourquoi mentir de cette manière ? Ne te rends-tu pas compte que ton mensonge est une odieuse manière pour toi d'essayer de t'en sortir ?
Sans aucun mot, elle se leva et se précipita à l'étage grâce à l'escalier en colimaçon. Quelques minutes plus tard, elle revint avec une vieille boîte dans ses mains remplies avec de nombreux papiers :
— Si tu ne me crois pas, alors, je pense que tu pourras croire au contenu de ces lettres. Maintenant que tu es plus grande, je suppose que tu pourras être plus apte à comprendre.
Elle posa de nombreuses lettres sur la table. Une à une, je pris les lettres qui étaient signées par mes grands-parents, mes doigts caressant le papier vieilli et les lisant une à une. Le contenu me glaça immédiatement tandis que les jambes tremblaient. « Tu n'es pas la bienvenue ici. » Nous ne t'apprécions guère. « Notre chère Marie est mieux sans ta vile présence. » « Tu penses réellement que tu manques à Marie ? » À vrai dire, les vipères ne manquent pas aux humains. « Ne sois pas plus bête que tu ne l'es déjà. » « N'écris plus. » De toute façon, nous ne lui donnerons jamais tes lettres. Alors, ne gaspille pas ta précieuse encre. « Ne te rends pas plus pauvre que tu ne l'es déjà, tu comprends ? » « N'es-tu donc qu'une sangsue qui s'accroche ? » Les lettres me tombèrent des mains tandis que les mots retentissaient dans ma tête comme des cloches et des gongs qui se faisaient de plus en plus bruyants. Ma vie n'avait-elle alors été qu'un tissu de mensonges plus gros les uns que les autres ? Pendant tout ce temps, mes grands-parents me répétaient que ma mère ne voulait rien avoir à faire avec moi.

Le cœur en lettresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant