Chapitre 2

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« Molly, dépêche-toi ! »

Molly glissa son dossier dans son sac, jeta celui-ci sur une épaule et courut rejoindre Lucy sur le parking de sa résidence. Elle claqua la portière de la Ford Mustang cabriolet rouge écarlate, datant de 1966, que Lucy avait acheté à un collectionneur l'été précédent grâce à des économies étalées sur dix longues années, au moment où celle-ci mit la clef sur le contact et démarra.

« Qu'est-ce que tu avais oublié cette fois ?

— Mon dossier. »

Molly sortit sa paire de lunettes de soleil et l'enfonça sur son nez.

« Et tu l'as ?

— Tu crois vraiment que je serais partie sans ? »

Lucy exécuta une rapide marche arrière et rejoignit la route. Voyant que Molly regardait défiler la rue d'un air distrait, elle demanda :

« Nerveuse ?

-...Un peu. Mais ça va aller.

— Écoute : dis-toi que c'est déjà une chance énorme que ce type veuille bien te recevoir maintenant. C'est sûrement qu'il a déjà vu que tu es une super prof sur les dossiers qu'a envoyée l'école de Paris.

— Alors, à quoi me servira celui que j'ai apporté ?

— Un récapitulatif. Tu te rends compte ? Tu vas enseigner à Boston ! »

Molly ne put s'empêcher de sourire, mais elle revint vite sur terre :

« Et si jamais je ne lui plais pas ? Je serais obligé de retourner à Paris, et tu sais comme moi que c'est impossible.

— Cesse de te poser ce genre de question ! Cela m'étonnerait qu'il t'ait accordé un entretien un dimanche sans avoir déjà plus ou moins l'idée de t'engager. Je ne savais même pas que c'était envisageable d'ailleurs, d'avoir un entretien d'embauche un dimanche... Sur Google, ils disent que ça arrive quand ça arrange tout le monde... Enfin bref, de toute façon tu es une trop bonne enseignante pour qu'il te laisse lui glisser entre les doigts. Ou alors, il serait vraiment idiot ! »

Molly restait tétanisée. Elle essayait tant bien que mal de sauver les apparences, sous ses lunettes de soleil et son rouge à lèvres carmin, mais elle était réellement terrifiée. Ce boulot, il fallait qu'elle l'obtienne. Et pour plusieurs raisons : elle adorait Boston ; elle voulait changer d'air ; elle avait vendu son appartement dans le 7e pour s'installer ; et surtout, elle devait finir ce roman sur cette jeune femme qui rencontrait le grand amour dans Boston. Elle avait déjà connu un franc succès en France avec ses premiers bouquins, tous tournés vers le fantastique, mais à présent elle souhaitait varier son registre. Bon, la romance était encore au rendez-vous ; elle le serait toujours. Mais elle voulait seulement l'intégrer de manière différente afin que ses lecteurs puissent s'identifier plus facilement à ses personnages.

D'ailleurs, son éditeur et agent M. Edwards, au moment où Molly avait quitté la France, avait déjà prévu la sortie de ce roman pour dans 5 mois. Et le temps qu'elle trouve quelques idées et emménage chez sa correspondante américaine de lycée Lucy Stewart (une grande blonde aux yeux verts), qu'elle cherche un emploi et crée de nouvelles habitudes, huit semaines c'étaient écoulées et elle n'avait écrit qu'un seul chapitre sur son ordinateur. Son héroïne, qu'elle avait baptisé Annie et surnommé Ann, n'avait eu le temps que d'ouvrir une boutique d'antiquités et de découvrir un bar qui était devenu son endroit préféré. Molly n'avait pas inventé de nom pour ce bar, et elle venait à peine de décider que c'était à cet endroit qu'Ann rencontrerait Tom, de préférence médecin, professeur ou journaliste, peut-être archéologue, la trentaine. Non, la vingtaine. Molly n'en était pas sûre.

Il faut dire que Molly n'était jamais vraiment sûre de rien. Elle avait un côté rêveur, curieuse et sensible, et si on pouvait croire qu'elle avait confiance en elle sous ses allures de jeune femme assumée, ce n'était pas toujours le cas. Ce dont elle rêvait par-dessus tout, c'était de voyager, de parcourir le globe, de goûter toutes les spécialités culinaires et toutes les saveurs du monde, de se frotter à toutes les cultures, de multiplier les expériences. Mais elle savait qu'il fallait qu'elle fasse tout cela avec une amie, ou quelqu'un qui partagerait ses rêves, avant d'être casée et d'avoir des enfants. Car ça faisait aussi partit du plan mal organisé qu'elle avait dressé dans sa tête.

Mécaniquement, elle sortit son tube de rouge à lèvres.

« Hum... objecta Lucy, c'est un entretien d'embauche, n'est-ce pas ? »

Molly rit en désignant sa tenue et le dossier dans son sac :

« Tu pensais que c'était quoi ? Une virée shopping ?

— À voir ton rouge à lèvres, on pourrait se le demander. Si tu veux mon avis, tu devrais l'enlever. Il vaut mieux apparaître neutre. »

Molly rangea le tube carmin, sortit un mouchoir et se le passa sur la bouche.

Elle n'avait plus rien derrière quoi se cacher. En entrant dans l'école, elle devrait aussi retirer ses lunettes de soleil. Rien qu'en y pensant, elle frissonna.

Ce jour-là [romance] [enquête] [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant