Chapitre 6

12 2 7
                                    


Lundi 23 février 2015.

Dehors, le ciel s'était obscurci et la pluie avait commencé à chasser les piétons, qui se pressaient à présent sur la chaussée sous des parapluies noirs et gris, et quelques rares vert ou jaune. La tête lourde de fatigue posée entre ses deux bras, Peter ouvrit difficilement les yeux et se rendit compte qu'il s'était assoupi sur sa table de séjour.

Il avait passé une grande partie de la nuit à revoir ses cours et avait corrigé une centaine de copies. Après s'être assommé avec six cafés noirs sans sucre, et deux ou trois cannettes de bière, il avait fini par s'écrouler de sommeil. Il lui fallut quelques instants pour recouvrer ses esprits et comprendre où il se trouvait et comment il s'était retrouvé là. Son premier réflexe fut de jeter un coup d'œil à sa montre :

Merde ! Putain de merde !

Il se leva d'un bond, vit des lumières floues devant lui et manqua de tomber sous la précipitation. Trébuchant, il renversa la chaise sur laquelle il s'était endormi. Il était 7 h 50, et son premier cours débutait à 8 h précise.

Peter se prit le pied dans un meuble rustique très haut qu'il avait placé contre le mur. De rage, il cogna de toutes ses forces dedans avec son pied valide, faisant basculer une vieille lampe qui l'assomma à moitié avant de se briser sur le sol, non sans lui laisser une belle entaille à la cheville. Le sang vint tacher le carrelage.

« Saleté de lampe à la con ! »

Complètement perdu et hors de lui, Peter désinfecta la plaie en quatrième vitesse (celle-ci finalement superficielle), l'enroula de sparadrap et se promis de nettoyer le soir même les taches de sang qu'il avait réparti un peu partout dans la salle à manger. Il attrapa sa sacoche avec ses cours, sortit Micky et sa gamelle dans le jardin, et à nouveau il renversa accidentellement deux chaises avant de quitter sa maison en courant, sans oublier quand même de prendre le temps de bien la fermer à clefs. Il sauta dans sa voiture, jeta son sac et ses copies sur le siège passager par-dessus les photos de l'anniversaire d'Anna et roula à toute allure dans les rues du Cambridge, puis, après avoir griller un feu rouge, il arriva à l'université d'Harvard dans la minute et gara sa voiture sur le parking réservé aux enseignants. Il se précipita à son casier dans la salle des professeurs et y trouva un déodorant. Celui-ci fit un long « 'pchiiiit ! » puis fut balancé de nouveau au fond du casier, que Peter referma avant de courir dans les couloirs jusqu'à atteindre un des amphis destinés à l'étude des maths, dans lequel il entra à la hâte, à peine quelques secondes avant que ses étudiants n'y entrent à leur tour. D'ailleurs, en le voyant ainsi essoufflé, un groupe de filles se mit à ricaner discrètement.

Peter s'assit à son bureau, enfila ses lunettes et sortit ses affaires en demandant à ses élèves de sortir également les leurs, après qu'ils eurent pris place dans l'amphithéâtre qui lui faisait face.

La journée qui s'en suivit fut des plus chaotiques. À 8 h 30, Peter reçut une boulette de papier mâché dans la figure après avoir manqué de peu de s'endormir sur son bureau couvert de bave. À 10 h tapantes, il se prit les pieds dans sa sacoche en se levant pour accueillir ses étudiants de troisième heure, et fut illico recollé comme une ventouse à sa chaise. À midi, au moment de rejoindre le réfectoire, il bouscula une jeune fille rousse, qui lui fit des yeux de biche lorsqu'il se confondit en excuses, jusqu'à ce qu'elle remarque son odeur de bière qui était restée de la veille et s'en aille, subitement dégoûtée. Mais le pire fut peut-être de prendre une copie pour un mouchoir, vers 15 h 45. Celle-ci, signée Jonathan Primes, était en quelques secondes d'inattention devenue quasiment illisible.

Finalement, malgré cet enchaînement de catastrophes plus farfelues les unes que les autres, la journée décida enfin de se toucher à sa fin. Peter rassembla ses affaires et les rangea dans sa sacoche, plaça ses lunettes dans leur étui et les copies de ses élèves dans un grand classeur, par ordre alphabétique. La seule chose qui gâchait le bonheur de ce début de soirée, c'était qu'il allait devoir remettre en ordre sa salle de séjour et nettoyer le sang qu'il avait éparpillé un peu partout. Aussi le fait qu'il allait devoir à nouveau corriger des rédactions et faire semblant d'avoir perdu celle de Jonathan Primes. Tant pis, il ne serait pas noté. Sauf s'il désirait recommencer son devoir, ou en réaliser un nouveau, auquel cas Peter devra faire attention par la suite à ne pas laisser celui-ci traîner sur son bureau.

Ce jour-là [romance] [enquête] [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant