Chapitre 15

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À midi le lendemain, les lunettes sur le nez, Peter avait lu tous les articles qui relataient du crash du vol 255 Northwest Airlines. L'avion, qui garantissait la connexion entre l'aéroport métropolitain de Détroit et l'aéroport de Phoenix-Sky Harbor, c'était donc écrasé à Détroit, dans le Michigan sur la Middlebelt Road à 20 h 45, après un vol d'exactement 14 secondes. La cause du crash était une erreur de la check-list effectuée par les pilotes, qui n'avaient pas vérifié le déploiement des volets et des becs. Autrement dit, l'avion n'avait pas été correctement paramétré pour le décollage. Il avait atteint seulement quinze mètres au-dessus du sol, d'après quelques témoins, avant de venir percuter un lampadaire sur un parking de voitures de location, puis deux, pour finalement accrocher le toit d'un hangar et finir sa course contre le pilier d'un pont. L'accident avait fait 156 victimes, parmi lesquelles 6 membres d'équipage, 148 passagers et 2 automobilistes au sol. Une seule survivante, une fillette de quatre ans.

Après l'approfondissement de ses recherches sur cette tragédie, Peter visionna plusieurs interviews de Molly sur YouTube, invitée sur des plateaux télé pour parler de ses bouquins. Elle en parlait d'ailleurs avec une véritable passion qui se lisait dans ses yeux, qui brillaient encore davantage à chacune de ses phrases. Elle racontait qu'elle avait toujours aimé lire et écrire, que c'était son moyen à elle de s'évader, de vivre des centaines de vies à la fois. Qu'avant son premier roman, elle avait écrit plusieurs essais, quelques nouvelles, d'autres petits romans et même des histoires pour enfant. Seulement, elle avait toujours eu très peur de se lancer à cause de l'éventualité d'un échec. Elle disait qu'elle avait toujours eu peur qu'en franchissant le pas, ses tapuscrits ne plaisent pas et elle ne voulait pas voir ses rêves s'effondrer. Puis en grandissant, elle s'était rendu compte que le secret de la réussite dans n'importe quel domaine, c'était la volonté et la persévérance. Et c'est avec cette idée qu'elle avait soumis son tapuscrit du premier tome d'Il était un automne à une maison d'édition de Paris, avant que celui-ci ne devienne un best-seller. Lors d'une invitation France 5 sur le plateau de l'émission C à vous en 2013 à la sortie de Peut-être un autre jour, elle avait même affirmé :

« Je ne me rends même pas compte que mes romans ont un tel succès. J'ai encore un tract pas possible quand je sais que je vais passer à la télé, persuadée qu'on s'est trompé de personne ! Très souvent, quand les gens m'appellent dans la rue, je ne suis pas toujours sûre qu'on s'adresse bien à moi. Et, entre nous : je n'ai jamais lu ma page Wikipédia ! »

Molly était merveilleuse face aux caméras. Peter sentait qu'elle ne jouait aucun rôle, elle était plus qu'authentique, elle était simplement là, à sourire, à rire, à faire des confidences puis à s'excuser de mettre cinq minutes pour répondre à chaque question. Sur le plateau de C à vous, le lundi 7 janvier 2013, elle portait une robe rouge sans manche qui lui arrivait au-dessus des genoux, des petits escarpins noirs et pour la joaillerie, une manchette à double rang sertie de zirconium, des boucles d'oreilles assorties en forme de goutte d'eau et un sautoir en argent. Elle était la plus habillée du plateau, et Peter devinait à sa façon de serrer ses genoux qu'elle ne s'en sentait pas très à l'aise.

Cette nuit, le rêve de Peter avait changé. Il avait encore rêvé de Molly évidemment, inlassablement, mais cette fois, il avait pu voir son visage. Au-delà de ses sentiments naissants à son égard, il éprouvait une euphorie presque insensée à l'idée de l'avoir retrouvé, d'avoir enfin pu mettre un nom et un visage sur cette jeune femme oubliée, qui n'en était maintenant plus une. Pourtant, elle ne l'avait pas reconnu ou en tout cas n'avait pas tout à fait manifesté d'expression qui aurait prouvé le contraire, et lui était persuadée que s'il l'avait déjà croisée, il se serait souvenu de son visage. Alors Peter commençait sérieusement à douter du fait qu'il l'ait déjà vu, sans trouver d'autre explication possible à ses apparitions à répétitions dans ses rêves. C'était comme si jusqu'à présent, elle n'avait existé que dans son imagination, pour se révéler être finalement bien réelle. Tout ceci n'avait absolument aucun foutu sens.

À 13 h, après avoir avalé un plat de pâtes trop cuites, la cuisine n'étant pas un domaine dans lequel il excellait, il s'assit de nouveau devant l'ordinateur à la recherche d'autres interviews de Molly, lorsque son téléphone vibra. Il s'en saisit, espéra comme un adolescent que ce soit elle. Mais son écran affichait : Ethan.

« Allo ?

— Salut Pete ! Alors, la forme ?

— Ça va.

— On ne s'est pas vu depuis l'hôpital, et je te dois toujours un ciné pour tes trente ans, tu t'rappelles ?

— Bien sûr.

— Bah, une chance pour toi, nous sommes mercredi donc je travaille tard, et aujourd'hui à 15 h il y a une séance au Loews pour voir Diversion, le dernier film avec Will Smith !

— Il est encore à l'affiche ?

— Faut croire.

— OK, ça marche. On s'y rejoint à 14 h 45 ? »

Les deux hommes se retrouvèrent devant le cinéma à l'heure convenue, quoiqu'avec quelques minutes de retard. Ethan acheta les tickets, et insista même pour payer du pop-corn. Ils s'installèrent sur les quelques places qui restaient et échangèrent un peu sur les évènements de cette dernière semaine pendant les publicités. Ethan raconta notamment à son meilleur ami que par trois fois, la petite vieille qui habitait Linden Street était venue se plaindre directement à la caserne pour dire que l'un de ses chats était coincé dans un arbre. Si bien que maintenant, lui et ses collègues la surnommaient The stéréotype-old-lady-with-a-cat-stuck-in-a-tree. Ce qui donnait pour faire plus court The Solwacsiat, une abréviation qui aurait pu selon eux donner son nom à une nouvelle forme de vie extraterrestre dans Star Wars.

Un peu avant que le film ne commence, Ethan chuchota :

« Hé, mon vieux, je te trouve plus joyeux que ces derniers temps, tu ressors avec Amanda ? »

Peter sourit de ce manque de tact et se pencha vers lui pour répondre :

« J'ai rencontré quelqu'un. »

Ethan ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais le film commençait, et Peter lui fit signe de se taire. À la fin de la séance, il tenta de discuter du jeu d'acteur de Will Smith avec Ethan, mais c'était sans compter l'impatiente de celui-ci :

« Alors, raconte ! »

Peter traversa la route pour aller s'assoir sur le premier banc du Boston Common Park qu'il aperçut. Ethan ne tarda pas à le rejoindre, un sourire malicieux au coin des lèvres, avec le regard que lancerait un père à son fils à l'annonce de ses premiers amours :

« Allez, Pete, dis-moi tout, je veux tout savoir. Elle est jolie ? »

Peter lui raconta comment il avait rencontré Molly, en omettant son tatouage et sa signification, pour elle comme pour lui.

« Au Annie's Club ? Dans notre bar ? Pete, mon vieux, il faut que tu réussisses à l'épouser, celle-là. Ça ne t'arrivera pas deux fois une rencontre pareille ! Je n'ai jamais vu de femmes jeunes et de surcroît jolies au Annie's Club. Il est trop peu fréquenté pour y voir qui que ce soit d'ailleurs ! Je me demande souvent comment Annie fait pour le maintenir à flot...

— Elle n'était pas là pour boire, Ethan. Elle a fait signer un contrat à Annie, pour l'autoriser à citer le bar dans son prochain roman. Elle est écrivaine.

— Reconnu ?

— Auteure de best-sellers. »

Ethan fronça les sourcils.

« Si elle parle de notre bar dans un futur best-seller, il va y avoir de plus en plus de monde ! Des envahisseurs, te dis-je !

— Ethan, ce n'est pas notre bar. C'est celui d'Annie, et pense à la nouvelle clientèle que tu qualifies d'envahisseurs : avec plus de monde, elle se fera plus d'argent, et pourra s'offrir un long voyage en France...

— Elle ferait mieux d'acheter une brosse à cheveux à Éric... Ou un stage de coiffure, qui sait, ça finirait bien par porter ses fruits... »

Peter haussa les épaules.

« Je pense que c'est une bonne nouvelle.

— Oui, enfin, bref. Alors, cette fille, quand est-ce que tu comptes la revoir ? »

Peter sourit.

« Très bientôt. »

Ce jour-là [romance] [enquête] [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant