Chapitre 3

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Un bruit de verre tinter retentit dans le bar.

Vers 13h, Ethan venait de finir sa deuxième bière, et Peter de refuser de finir la sienne. Un peu plus gai, il racontait à Éthan combien il était heureux de pouvoir recommencer à enseigner. Malgré ses idées noires des semaines passées, être dans un amphi en face de ses élèves et décrire des formules de statistiques ou d'algèbre abstraite, des sujets d'étude parmi tant d'autres, lui manquait énormément. Il avait toujours été fasciné par les mathématiques, et si les calculs le passionnaient principalement dans le domaine des recherches astronomiques, il avait préféré devenir professeur d'université plutôt qu'ingénieur de recherche ou chercheur, afin d'avoir la satisfaction de transmettre ses connaissances, et peut-être aussi, espérait-il, sa passion. Passion incompréhensible pour beaucoup de ses anciens camarades, car quand on était un bel et charismatique Américain né dans les années 80, on devenait forcément comédien, chanteur, politicien plus tard, et on laissait les métiers compliqués aux hommes et femmes qui avaient passé la cinquantaine, puisque, après tout, disaient-ils, personne à part ces gens-là n'aime réfléchir simplement pour réfléchir. Devenir enseignant en mathématique dans l'une des universités les plus prestigieuses du monde avait été à ses yeux une réussite personnelle et une belle façon de démentir les jeunes qui trouvaient que c'était une profession prétentieuse, et les plus vieux qui ne l'en pensaient pas capable. Seul Ethan l'avait soutenu, écartant à grand coup de poing les clichés innombrables qui prétendent qu'on ne peut pas avoir à la fois le physique, la jeunesse et le cerveau.

« J'ai l'impression que nous nous connaissons depuis une éternité... »

Les deux hommes étaient amis depuis dix-sept ans maintenant : ils avaient tous deux grandi à Jacksonville, avaient fréquenté le même collège, le même lycée, et avaient été séparés au moment où Peter était entré à la FAC et qu'Ethan était devenu pompier. Ils s'étaient cependant écrit régulièrement pendant de nombreuses années, durant lesquelles Ethan avait connu Isabella, une belle Italienne venue faire ses études aux États-Unis, et ils avaient tous les deux fait partie du voyage au Kenya où Peter avait rencontré Amanda. Le groupe d'amis s'était ensuite installé à Boston dans un appartement pour une collocation, jusqu'à ce qu'Ethan et Isa décident de fonder une famille, en commençant par se marier et s'acheter une maison. Peter et Amanda avaient continué d'habiter l'appartement jusqu'à leur rupture.

Au bout de trois heures de bavardages, Ethan s'exclama, se reconnectant brusquement au présent :

« Bon ! On ne va pas passer le jour de tes trente ans à enchaîner les bières et à ressasser le bon vieux temps, aussi agréable fût-il ! »

Il appela Éric pour payer l'addition. Peter voulut régler sa part, mais ces bières faisaient « parties » de son cadeau d'anniversaire.

« Si j'étais riche, ou au moins si j'avais autant de capital que toi, je t'aurais acheté ce merveilleux 4X4 qui n'arrête pas de passer à la télé. Quoi que, tu aimes bien trop ta voiture pour en changer... Mais tu vois ce que je veux dire, quelque chose de spécial, pour fêter l'occasion. Seulement, avec les dépenses qu'Isa et moi avons faites pour l'anniversaire de ton adorable filleule, j'ai bien peur d'avoir tout juste assez d'argent pour te payer les bières que tu viens de boire et un cinoche. Et je te promets de me rattraper plus tard ! Il y a un film qui te ferait envie ?

— Ethan, tu n'es vraiment pas obligé. Si ça ne tenait qu'à moi, je ne fêterais même pas mes anniversaires. Je ne vois pas l'intérêt de célébrer les années qui passent toujours plus vites. Et puis, nous sommes dimanche. Je ne crois pas que les cinémas sont ouverts...

— Merde ! J'avais complètement oublié qu'on était dimanche ! »

Ethan fronça les sourcils et réfléchit.

« Que penses-tu de mercredi prochain à 15h, dans ce cas ?

— Je pense que ce n'est qu'un anniversaire de plus...

— Hé, pour mes trente ans, à moi, tu m'as offert un superbe écran plat, qui orne divinement le mur de mon salon. Oh non, je n'exagère pas, je n'avais jamais autant apprécié le Superbowl qu'en le regardant en qualité 4K. Alors honnêtement, je peux même te payer cent cinquante fois le cinéma ! »

Peter fut obligé de capituler.

« D'accord, va pour mercredi à 15 h. »

Ils quittèrent ensemble le bar et restèrent encore une petite heure pour éliminer au maximum l'alcool qu'ils avaient bus. Enfin, ils décidèrent qu'il était temps de rentrer.

« Tu salueras Isa pour moi ? demanda Peter.

— Sans faute ! »

Les deux amis montèrent dans leurs voitures respectives et au moment de quitter le parking, Ethan ouvrit sa fenêtre et cria :

« Tu ne voudrais pas venir à la maison ? Comme ça tu la salueras toi-même, je suis sûr qu'elle et Anna seraient ravies de te voir !

— J'ai beaucoup trop de travail en retard, je passerais un autre jour, merci ! »

Ethan leva une main pour faire savoir à Peter qu'il comprenait, et ils partirent chacun de son côté.

Arrivé chez lui cinq minutes plus tard, Peter fit rentrer son chien et sortit chercher son courrier dans sa boîte aux lettres. N'ayant encore rien avalé depuis son petit déjeuner de ce matin mis à part ses deux bières, il se rendit compte qu'il avait terriblement faim. Il pensa à se cuisiner une belle salade, mais il décida finalement de commander une pizza, plus par fainéantise que par envie. Il s'empara de son portable, passa sa commande puis partit se remettre devant sa télé, laissant Micky se coucher à côté de lui, la tête sur ses genoux. Il ouvrit son courrier qui datait de la veille en même temps que celui qu'il avait laissé s'accumuler sur sa table basse tout au long de la semaine, d'abord avec ses mains puis avec un couteau à beurre, pour découvrir avec déception pas mal de factures et de publicités. Un papier l'informa un peu tard que comme il n'avait pas payé son dernier reçu de téléphone, la ligne avait été coupée aujourd'hui à 14 : 30 précise. Son fixe était maintenant inutilisable. Quant aux pubs, l'une d'elles vendait les services d'une « voyante », soi-disant capable d'éclairer votre vie amoureuse. Peter n'avait jamais cru en ces Mesdames Irma et Compagnie. En fait, il ne croyait pas à grand-chose : ayant été élevé dans une famille on ne peut plus terre à terre, il n'avait jamais cru à quelque magie dans quelque domaine qu'il soit.

De toute façon, nul besoin de contacter une voyante pour savoir que sa vie sentimentale était d'un calme plat.

Il se leva du canapé et partit se chercher une bouteille de whisky.

Ce jour-là [romance] [enquête] [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant