Chapitre 9 : une journée des plus décevantes

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Quand Gabriel rentra chez lui, son esprit ne cessait de repasser en boucle cet après-midi passé en compagnie de Jordan Bardella. Il essayait, sans grand succès, de trouver un moment où il le Jordan agressif des plateaux télés avait pris le dessus sur le Jordan gentil et drôle qu'il venait de redécouvrir. Gabriel avait même entraperçu des regrets dans le regard de Jordan et ils lui avaient semblé sincères, bien que le Premier Ministre se soit énervé quand le Président du RN lui avait dit vouloir se faire pardonner pour ses erreurs passées. À vrai dire, Gabriel s'était emporté contre lui sans vraiment savoir pourquoi : comme il l'avait dit lui-même, le passé importait peu, alors pourquoi avait-il tant de mal à pardonner complètement Jordan sur ses agissements passés ? L'homme avec qui il avait passé l'après-midi n'était plus ce petit garçon qui avait ruiné leur amitié ainsi que la vie de Gabriel, bien qu'il reste le Président du parti adverse, et Gabriel était heureux de ce changement. Il avait aperçu un Jordan confiant, drôle, intelligent, séduisant. Comme il lui avait dit, il avait besoin de s'amuser un peu, de rire, en ces temps chargés en émotion et, si Jordan était capable de lui apporter son réconfort durant cette angoissante période d'élections, Gabriel était prêt à faire abstraction de ses erreurs et de son parti.

Il ouvrit son téléphone et sa bonne humeur s'envola aussitôt : il avait manqué treize appels d'Emmanuel Macron, ce qui était plus que mauvais signe. Le Président avait 1 numéro privé, uniquement connu par ses ministres et, naturellement, son Premier Ministre, et il devait normalement servir dans les cas d'urgence. En temps normal, le Premier Ministre aurait rendu visite au Président dès que possible mais il se faisait tard et Gabriel avait besoin de sommeil pour évacuer cette journée inattendue.

Si Monsieur Macron avait quelque chose d'important à lui dire, cela pourrait très bien attendre demain matin, du moins c'est ce que pensait Gabriel. Cette décision s'ajouta au nombreuses erreurs de notre Premier Ministre.

Jordan, lui, rentra chez lui avec la conscience lourde : à peine avait-il ouvert son téléphone que des centaines d'articles le concernant lui étaient tombés dessus. Sans savoir comment, un journaliste était parvenu à les suivre, lui et Gabriel, dans le parc, encore une fois. Marine Le Pen n'avait pas menti, la moindre de ses rencontres avec Attal serait immortalisée et celle-ci ne faisait pas exception. Cela le dérangeait profondément, bien que cela n'aurait pas dû. Après tout, la stratégie de sa mentor fonctionnait à merveille et le parti de Gabriel Attal avait encore dégringolé dans les sondages, désormais derrière l'alliance des gauches et derrière les Républicains. Pourtant, il aurait voulu que leur rencontre d'aujourd'hui reste entre eux, comme un secret qu'ils avaient en commun. Jordan ouvrit l'un des articles au hasard, pour mesurer l'ampleur de ce qu'il avait provoqué.

Jordan Bardella et Gabriel Attal de nouveau aperçu ensemble dans le parc Présidentiel cet après-midi : les électeurs d'Ensemble dépités

Le coup de tonnerre que personne n'avait vu venir. Aperçus il y a quelques jours dans un café, riant aux éclats, le Premier Ministre et le Président du RN avait déjà fait polémique. Un événement que les Macronistes avaient essayé de relativiser. " Une fois, oui, ça peut arriver ; Monsieur Attal semblait soûl, on pouvait lui pardonner", nous confie un électeur d'Ensemble. Mais une deuxième fois, en pleine journée ? Nous ne sommes pas idiots : notre parti fricote dans notre dos avec l'extrême droite, c'est inadmissible" Une trahison au goût amer qui fait pourtant le bonheur des réseaux sociaux, où les "édits" du duo "amoureux" font des millions de vues. Un succès qui n'est pas au goût de tous. Éloïse, électrice du Nouveau Front Populaire, craint que ces vidéos entraînent la victoire du RN demain au premier tour. " Les jeunes en oublient le danger que représentent ce parti, en le voyant s'allier avec un candidat de centre-droit et leur prétendue histoire d'amour fait passer le Rassemblement National pour un parti tolérant et non homophobe". Une chose est sûre, Monsieur Attal n'a pas dû passer une excellente soirée lorsqu'Emmanuel Macron a pris connaissance de ces rendez-vous. À moins que...

C'en était trop pour Jordan. Il ferma son téléphone et le balança à l'autre bout de la pièce, incapable de lire une phrase de plus de cet article. Il était furieux, bien sûr, mais il savait qu'il ne pouvait en vouloir qu'à lui-même, et cela le faisait rager plus encore. Presque instinctivement, il décida d'appeler Gabriel. Au bout du troisième appel, il s'apprêta à abandonner quand la voix ensommeillée du Premier Ministre lui parvint à travers son téléphone fissuré.

- Je suis d'accord pour que nous nous voyions de temps en temps, Monsieur Bardella, mais de là à m'appeler en pleine nuit...

Entendre sa voix calma immédiatement Jordan. Malheureusement, Jordan n'était pas là pour rire des plaisanteries de Gabriel.

- Gabriel, je...avez-vous déjà consulté les réseaux sociaux durant ces trois derniers jours ?

- Non, pourquoi ?

- Je...Ils ont...Il vaudrait mieux que vous alliez y faire un tour, Monsieur Attal.

Jordan entendit Gabriel se lever à travers son écran dans un soupir agacé. Après d'interminables minutes passées à se ronger les sangs, Jordan commença à paniquer : le silence de Gabriel était plus éloquent encore que ses paroles. Pensait-il que tout était de sa faute ? Il décida de l'interroger d'une voix tremblante et loin d'être assurée :

- Monsieur Attal ? Je ne sais pas comment... Peut-être ont-ils... Cette situation nous dépasse mais nous pouvons l'affronter ensemble. Cela nous affecte tous les deux, ainsi que nos partis. Il est impératif que nous restions soudés.

Seul un silence lui répondit. Il décida de continuer à parler pour combler le vide qui s'installait.

- Monsieur Attal, je... je suis désolé.

Ce sont les seuls mots qui puissent franchir ses lèvres. Il ne put se résoudre à lui raconter toute la vérité, pas maintenant, pas ici, pas dans ces circonstances. Gabriel méritait encore un peu d'ignorance.

Celui-ci resta muet, probablement abasourdi par ce qu'il venait de découvrir. Jordan aimerait qu'il dise ne serait-ce qu'un mot, une phrase, une parole rassurante. Mais rien ne vint. Seul un vide lui répondit et, quelques secondes plus tard, le bruit d'un téléphone que l'on raccroche.

Gabriel n'avait pas pu dormir de la nuit, pas après le coup de fil de Jordan. Il avait découvert que des photos de lui et du Président du RN avaient fuité et que son parti était en berne. Voilà qui expliquait les multiples appels d'Emmanuel Macron. Et lui qui pensait que ce n'était rien, que cela pouvait attendre demain. Quel idiot. Bien sûr que non, si le Président vous appelle une quinzaine de fois avec son numéro privé, ce n'est pas rien.

Il se sentait stupide, pris au piège. Comment avait-il pu penser que renouer le contact en dehors du travail avec un candidat du Rassemblement National, et pas n'importe quel candidat, le Président, serait une bonne idée ? Encore une fois, il se sentait égoïste : il n'avait pensé qu'à lui, en se disant que se faire un ami serait bon pour son mental. Il en avait, des amis, et qui faisaient partie de son parti, qui plus est !

Incapable de refermer l'œil, l'angoisse et l'humiliation lui nouant l'estomac, Gabriel décida de se rendre de bonne heure à l'Élysée. Il espérait secrètement qu'à cette heure matinale, il ne croiserait pas grand monde dans les longs couloirs, ce qui lui éviterait une humiliation publique inutile. Il devait impérativement parler au Président et lui expliquer la situation, même s'il ne savait pas encore quelle excuse il allait bien pouvoir inventer.

Sa chauffeur n'étant pas encore arrivée, il se rendit seul à l'Élysée et déambula dans les rues de Paris encore désertes à cet heure-ci. En chemin, il croisa un jeune couple qui le reconnut et lui demanda gentiment de faire un selfie. Doucement, le jeune homme lui souffla à l'oreille :

 - Nous croyons en vous, Monsieur Attal. Si vous discutiez avec Monsieur Bardella, c'est que vous aviez forcément de bonnes raisons.

Gabriel dévisagea le jeune homme et sourit franchement : tout d'abord, parce que, justement, non, il n'avait pas de bonnes raisons. Et puis, parce qu'il était apparemment le dernier homme de toute la France à avoir été au courant que leurs rendez-vous avaient été rendus publics.

La Réforme de notre Amour ( Attal X Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant