Chapitre 29 : un deuil des plus douloureux

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Taxi - Angèle 

Gabriel avait traversé de nombreuses périodes de deuil dans sa vie. Il avait perdu des membres de sa famille, des amis, des connaissances, mais le deuil le plus difficile à faire avait été celui de son père. Emporté par un cancer fulgurent, il n'avait pas eu le temps de lui dire ses adieux comme il l'aurai voulu et l'avait toujours amèrement regretté. Il avait longuement hésité avant de lui avouer aimer les garçons avant sa mort, car il savait que ce serait alors les derniers mots qu'il lui adresserait si il réagissait mal, mais, heureusement, son père n'avait été qu'heureux en apprenant son homosexualité. Il avait même été légèrement vexé que son fils ait pu penser qu'il réagirait mal en apprenant la nouvelle et ils avaient pu passer ses derniers instants en paix, apaisés, en tant que père et fils soudés. Il était parti trop tôt, et Gabriel regretterait éternellement son sourire jovial et son caractère stricte mais terriblement attachant. Il lui arrivait parfois de se demander ce que lui dirait son père dans certaines situations et ses conseils exigent et instructifs lui manquait cruellement.

Dans toutes les périodes de deuil qu'il avait endurées, il n'avait rien pu faire pour empêcher l'improbable de se produire. Il n'avait pu qu'assister, impuissant, à la mort lente ou rapide de ses proches. Ça n'en avait pas rendu la situation moins difficile mais disons que, ne rien pouvoir faire l'avait aidé à accepter l'impensable : la mort faisait partie de la vie, qui était-il pour pouvoir y changer quelque chose ?

Aujourd'hui, le deuil auquel il faisait face était autrement différent car c'était lui qui l'avait provoqué. Mais, pire encore, il devait faire le deuil d'une personne qui n'était pas décédée, simplement à des centaines de kilomètres de lui.

Il aurait pu le réconforter. Le prendre dans ses bras. Lui murmurer que ce n'était pas de sa faute et qu'ils allaient trouver une solution, ensemble. Il aurait pu prévenir ses attachés de presse, son directeur de cabinet, ses amis de confiance, pour leur demander de l'aide dans sa situation délicate. Il aurait pu faire taire sa peur et essayer de se montrer courageux. Mais non. Il n'avait rien fait de tout ça. À la place, il s'était laissé emporter par ses émotions et l'avait laissé partir. Il lui avait demandé de choisir entre lui et sa carrière, sachant que lui avait choisi sa vie professionnelle. Et il ne l'avait pas choisi. Évidemment.

Comment l'aurait-il pu, après tous les mots durs que Gabriel lui avait hurlé au visage ? Après qu'il lui ai dit que ce qu'ils avaient vécu était puérile et qu'ils devaient maintenant tourner la page pour sauver leur réputations, et l'équilibre fragile de la France ? Comment aurait-il pu ?

Alors, les yeux au bord des larmes, Jordan Bardella avait rassemblé ses affaires et avait quitté la maison et Gabriel. Avant de franchir le palier, il lui avait chuchoté ses terribles paroles, qui avaient encore une fois brisé le coeur fraîchement pansé de Gabriel : je m'en vais, puisqu'apparemment je ne suis plus le bienvenu ici. Mais sachez que je vous aurais choisi, Attal, et que je vous choisirais toujours.

Pour une fois, ce n'était pas Jordan qui avait tout foiré. C'était lui. Leur fous rires, leurs soirées cinéma, leurs après-midi jeux de société, tout ça était parti en fumée, et par sa faute. Oui, Nolwenn était un danger. Oui, si elle dévoilait tout, leurs carrières seraient fichues. Mais comment avait-il penser un seul instant que ce problème serait réglé si ils se séparaient ? Les regrets lui comprimaient la poitrine, l'empêchait de respirer correctement, et voilà plus d'une heure qu'il tournait en rond dans sa maison, où régnait une chaleur étouffante.

La présence chaude et rassurante de Jordan lui manquait déjà. Son rire, ses blagues, ses gestes doux et attentionnés, pour la première fois depuis leurs quelques semaines de relation, il se rendait compte à quel point il s'était épris de lui. Il savait déjà qu'il était amoureux, bien sûr, mais, comme il lui avait si justement dit, le plus jeune avait été sa bouée de sauvetage dont il ne pouvait désormais plus se passer.

Malheureusement, il venait d'en prendre conscience, il ne savait pas nager, et il venait d'être brusquement replongé dans l'océan de ses soucis, sans phare ni côtes à l'horizon pour se repérer. En somme, il était perdu, et il craignait que personne ne remarque sa disparition. Car, tant qu'un corps n'avait pas été retrouvé, comment les gens pourraient-ils envisager l'impensable et faire leur deuil ?

Jordan Bardella regardait par la fenêtre, pensif. Voila plus de deux heures qu'il roulait dans la grande Audi noire de son chauffeur, sur ces routes fort fréquentées par les vacanciers venus du quatre coin du monde à cette période de l'année. Il l'avait appelé en sortant de chez Gabriel et l'homme était directement arrivé pour venir le chercher et le conduire au Parlement Européen.

Quand l'homme lui avait demandé de lui fournir une adresse, Jordan n'avait rien trouvé d'autre à lui dire. Son appartement ? Trop de mauvais souvenirs y étaient associés. La maison de sa mère ? Il ne voulait qu'elle le voit une nouvelle fois en position de faiblesse. L'appartement de Gabriel ? Impossible d'y retourner sans son propriétaire, même si nombre de ses affaires s'y trouvaient encore.

Gabriel. Toutes ses pensées le ramenait inévitablement vers lui. Il se sentait trahi, vidé. Pourtant, il n'y avait pas de quoi : Gabriel avait fait son propre choix. Pas celui que Jordan espérait, certes, mais un choix quand même. Celui de tracer sa route loin de Jordan. Celui d'arrêter de le fréquenter. Celui de faire comme si rien n'était arrivé. Celui de faire comme si leurs corps n'avaient jamais vibré ensemble, de concert, au rythme de leur passion.

Jordan n'avait pas eu la force de s'opposer à sa décision. Il n'avait pas eu le cran de lui redire une seconde à quel point il l'aimait, et qu'être loin de lui une nouvelle fois le détruirait. Non. À la place, il était parti, furieux, blessé mais surtout, abattu. Il y avait cru. Bon Dieu, ce qu'il avait cru à leur histoire. Il savait que ce serait éphémère, qu'il faudrait bien qu'un jour leur romance se termine mais pas si vite, pas si violement, pas de cette façon.

Il l'avait perdu une première fois. Il était jeune, et il avait dévoilé à toute l'école que Gabriel était amoureux de lui. Face à l'intolérance de ses camarades, il avait enfui ses propres sentiments au plus profond de son être, si loin qu'il en avait lui-même oublié l'existence. Avec les années, il s'étais mis à haïr les gens comme Gabriel, parce qu'ils lui rappelaient constamment que lui n'osait pas assumer cette part de sa personnalité. Mais, récemment, le Premier Ministre l'avait pardonné pour le harcèlement qu'il avait subi, et c'était un moment merveilleux.

Ensuite, il l'avait perdu une seconde fois, lorsqu'il avait découvert le pacte conclu avec Marine Le Pen. Pourtant, grâce à la puissance et à la sincérité de sa déclaration d'amour, dans ce parc, sous la pluie, Gabriel l'avait de nouveau pardonné. C'était inespéré, beau, et Jordan n'avait pas mesuré la chance qu'il avait eue de pouvoir se racheter auprès de l'homme qu'il aimait et de passer du temps à ses côtés.

Et, puis, aujourd'hui, pour la troisième et dernière fois, il l'avait perdu. C'était peut-être en partie de sa faute mais pas que. C'était aussi de celle de Gabriel, pour une fois. Mais, maintenant, qu'importe ses excuses, Gabriel ne le pardonnerait plus. Mais, plus important encore, Jordan ne pardonnerait pas à Gabriel d'avoir brisé la seule chose qui avait donné un sens à sa vie ces derniers temps. La seule chose qui lui donnait envie de se lever le matin. La seule chose capable de lui redonner le sourire en toute circonstance. Il lui en voulait pour ça, pour lui avoir arracher sa source de bonheur sans même prendre en compte ses sentiments, pour préférer son parti à lui, pour choisir la facilité à la place de la difficulté. Il n'hésiterais pas à se venger, d'ailleurs, pour tout ça, si l'occasion se présentait.

Pour la première fois, son amour pour le Premier Ministre s'était mué en quelque chose de plus sombre, de plus malsain, de plus instable. Gabriel préférait ca carrière à son affection ? Très bien, le plus jeune lui prouverait donc que lui n'avait pas peur que leur relation soit révélée au grand jour. Il lui montrerait qu'il n'avait pas peur de l'aimer au grand public. Qu'il ne craignait pas le scandale, ni l'attention trépidante des journalistes. Ce n'était pas la plus brillante des idées, mais Jordan était aveuglé par son désir de vengeance, par son besoin ardent de prouver son amour pour Gabriel et, honnêtement, qui pouvait l'en blâmer ? Il souffrait, et ses provocations était son seul moyen pour enterrer sa douleur et garder un semblant de paix intérieure, même si, en lui, tout s'écroulait.

En somme, il ne comptait pas le moins du monde envoyer ce fameux chèque à Nolwenn, et ça, c'était une remarquable erreur.

La Réforme de notre Amour ( Attal X Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant