les étés chez mamie

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ndla: avant de commencer, je tiens à dire que c'est un des textes les plus difficiles que j'ai eu à écrire dans ma vie. ayant perdu plusieurs membres de ma famille lors de la guerre en bosnie et surtout lors du génocide de srebrenica, j'ai souvent rêvé de la vie qu'on aurait eu si ça n'était jamais arrivé. si mes parents n'avaient jamais eu à fuir leur pays pour sauver leur peau. voici donc un bout de ces rêves que je partage avec vous. pour préserver ma famille, le nom de certains villages et de certaines personnes ont été modifiés.

 pour préserver ma famille, le nom de certains villages et de certaines personnes ont été modifiés

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srebrenica, bosnie-herzégovine (yougoslavie), août 2013

azra, malo brže! me presse mon père.

je râle mais j'appuie tout de même sur l'accélérateur, selon les ordres de mon géniteur. j'ai eu mon permis récemment mais ce bon vieux mustafa a insisté pour que je conduise les derniers kilomètres jusqu'à la maison de mes grands-parents. "ils seront tellement fiers de te voir arriver derrière le volant" m'a-t-il dit. une cinquantaine de kilomètres sur plus de mille-cinq cent, je crois que c'est un bon deal.

je chantonne les paroles de la chanson qui passe à la radio et mon père augmente le son, sachant que c'est la préférée de maman. elle sourit de toutes ses dents et s'approche depuis la banquette arrière pour embrasser la joue de son mari.

on est bientôt arrivés? demande erna, ma petite sœur de sept ans.
oui ma puce, environ dix minutes encore. kamila, occupe-la s'te plaît!

quelle idée de demander à notre ado en pleine période de rébellion d'occuper une gamine de sept ans...! mais contre toute attente, kam s'occupe de notre petite sœur qui se trouve aussi être légèrement insupportable.

on fait un jeu: tu comptes le nombre de vaches qu'on croise et à la fin je te dis si c'est juste.
trop cool! tu sais, je peux compter jusqu'à trente!
très bien. concentre-toi pour pas en louper!

je souris à mon père et je me concentre à nouveau sur la route pour éviter de faire un accident. après un quart d'heure, on finit par arriver devant la maison orange qui se trouve à côté de l'école. l'école où mes parents ont fait toute leur scolarité dans les années huitante. devant la maison sont assis deux personnes âgées, fatima et rahman, autrement dit mes grands-parents paternels. je me dépêche de sortir de la voiture pour aller prendre les vieux dans mes bras et je sens les larmes me monter aux yeux. ils m'ont vachement manqué.

— mustafa, neću nikad ti oprostiti što si napustio našu bosnu, annonce le vieux rahman.

mon père rit et vient à son tour saluer ses parents. quand j'avais six ans, on est partis en france pour le job de mon père et ses parents ne sont jamais passés à autre chose.

erna arrive en courant, suivie de ma mère et de kamila qui avance nonchalamment. alertés par les bruits, mon oncle et sa famille viennent nous rejoindre dans le jardin. mon cousin arnes qui a quasiment le même âge que moi se dirige directement vers moi pour me prendre dans ses bras. on est fusionnels depuis toujours, on a très mal vécu la séparation et on s'appelle tous les jours.

la famille au complet, on décide d'aller boire un café derrière la maison où il y a de l'ombre. mon père et mon oncle entrent les valises dans la maison avant de nous rejoindre.

— azra draga, kako ti se sviđa fakultet? m'interroge ma tante.
— pa... ne znam. teško mi je ali baš mi se sviđa.
— pa to ti je najvažnije! drago mi je. naš arnes ne zna šta hoće.

j'échange un regard avec mon cousin qui lève les yeux au ciel. il a déjà testé deux facs sans succès.

la fin d'après-midi ainsi que la soirée se passent dans la douceur et la tranquillité. les retrouvailles en famille que j'aime tant.

les parents vont rapidement se coucher et nos petits frères et sœurs également, ne laissant qu'arnes et moi sur la terrasse. mes parents étaient exténués par la route tandis que les autres adultes ont travaillé dans les champs ce matin.

je regarde autour de moi avant de sortir mon paquet de clopes de ma poche et d'en allumer une, le bruit du briquet brisant le silence. le blond à côté de moi tourne la tête vers moi avant de souffler.

— od kad ti pušiš?
— ne sjećam se, počela na fakultet.
— hoćeš da budeš doktor a pušiš.
— jel' to me zezaš?

il se met à rire et me pique la cigarette. je fume depuis quelques mois en cachette, j'ai trop peur de l'annoncer à mon gros daron donc je fume comme une lâche dans leur dos.

— našao sam curu.
— boga ti? je m'étonne.
— boga mi.
— od kad?
— pa eto, već par mjeseci od kad se viđamo.
— i? jesi se zaljubio?
— strašno. mislim da ću je zaručiti prije nove godine.

il a l'air... différent. apaisé. arnes est habituellement le genre de mec nerveux et surexcité, le voir autant calme est bizarre. je suis choquée qu'il me parle de fiançailles aussi tôt, surtout à notre âge !

étant le fils aîné et le premier petit-fils, il a une pression énorme sur les épaules. je pense que se marier sera également une manière pour lui de se défaire de ça.

— hoćeš ti sa nama sutra?
— kod vaše porodice? ne.
— što? znaš da te moja nena voli više od mene.
— a ti znaš da mi je tvoja rodica bivša.

on se met à rire tous les deux et je me rallume une deuxième clope, car il a fini la mienne. ma mère souhaite rendre visite à sa famille demain, qui habite dans le village en haut de la colline. arnes a eu la bonne idée de sortir avec l'une de mes cousines dans le passé donc il est gêné d'aller les voir avec nous. contrairement à la famille de mon père où je n'ai qu'un oncle et une tante, ma mère a six frères et sœurs. j'ai une grande famille nombreuse et j'en suis très contente.

je me réjouis de revenir vivre ici, mon père dit qu'il aura bientôt fini sa mission. j'irai étudier à sarajevo ou tuzla et je serai médecin ici à srebrenica.

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