Partie 3 - 34 - Un livre non refermé

5 1 0
                                    

Freya

un an plus tard - Montagne d'Orlon

Cela fait maintenant un an que la guerre s'est achevée, un an que Thalion a trouvé la mort. Un an que chaque mois, sans faute, je me rends sur sa tombe. Mais aujourd'hui, ce n'est pas un simple jour comme les autres. Aujourd'hui marque le premier anniversaire de sa disparition, et bien que j'aie tenté de faire mon deuil, une lourdeur indescriptible pèse toujours sur mon cœur. Le deuil est censé être terminé, mais en réalité, c'est comme une plaie qui refuse de cicatriser, une douleur sourde qui persiste malgré les efforts pour l'oublier.

La solitude est devenue ma seule compagne, une présence froide qui s'insinue dans chaque recoin de mon existence. J'ai perdu contact avec mes amis, préférant m'exiler dans les montagnes d'Orlon, à l'ouest de Roagny, le royaume de Raymondin. Ces montagnes, avec leurs sommets abrupts et leurs vallées sombres, reflètent l'état de mon âme. Chaque jour, je me réveille avec la sensation d'une absence profonde, un vide que rien ne parvient à combler. Même si je m'efforce de me persuader que je vais bien, la vérité est tout autre. La vérité, c'est que Thalion me manque terriblement. Parfois, le silence des montagnes est si lourd que j'en viens à parler à haute voix, espérant que son esprit m'entende, espérant qu'il me réponde.

J'ai tenté de me reconstruire, de tourner la page comme il l'aurait voulu. Je suis sortie, j'ai essayé de rencontrer de nouvelles personnes, de me mêler aux autres lors de soirées ou dans des bars, mais ces rencontres sont restées vides de sens. Elles ne durent jamais. Les hommes que je rencontre s'envolent aussi vite qu'ils apparaissent, ne laissant derrière eux qu'un goût amer d'inachevé. À quoi bon essayer ? À quoi bon prétendre que je peux aimer à nouveau quand mon cœur est encore emprisonné dans les souvenirs de Thalion ?

Pour survivre, j'ai adopté des poules. Elles sont devenues ma maigre source de joie, mes compagnes silencieuses dans cette solitude oppressante. Le jour où j'ai trouvé trois poules abandonnées devant ma porte, j'ai ressenti pour la première fois depuis longtemps une étincelle de bonheur, une minuscule flamme dans l'obscurité de ma vie. Mais même ce bonheur est teinté de mélancolie. Je me demande souvent si Thalion aurait ri de voir la princesse que j'étais devenue simple fermière, m'occupant de ces volatiles avec une attention presque maternelle.

La vie de princesse, avec ses fastes et son confort, ne me manque plus autant que je l'aurais cru. Il y a quelque chose de pur et d'authentique dans cette existence simple, même si elle est parfois austère. Pourtant, chaque jour qui passe me rappelle à quel point cette simplicité est vide de ce qui donnait un sens à ma vie : lui.

Aujourd'hui, comme tous les mois, je pars chercher des fleurs dans la forêt proche de ma cabane. Les arbres sont grands et imposants, leurs branches se tordent sous le poids du temps, tout comme mon âme sous le poids du chagrin. Les fleurs que je cueille, bien que colorées, semblent ternes à mes yeux. Elles ne parviennent pas à égayer ce cœur brisé.

Je me dirige ensuite vers le cimetière, mes pas lourds et traînants, comme si chaque mouvement me coûtait un effort colossal. La tombe de Thalion est là, simple et sobre, mais pour moi, elle est tout ce qu'il me reste de lui. Je dépose les fleurs avec une lenteur presque rituelle, les arrangeant avec soin sur la pierre froide. L'épitaphe gravée me fait toujours le même effet, un coup au cœur qui ravive la douleur :

L'amour, c'est comme un livre, il faut apprendre à tourner la page

C'est la dernière phrase qu'il a écrite, un adieu plein de sagesse et de résignation. Je sais qu'il avait raison, qu'il voulait que je vive, que je continue, mais comment tourner la page quand chaque mot, chaque souvenir, me ramène à lui ?

Je reste là, immobile, perdue dans mes pensées. Le temps semble s'étirer, chaque seconde se transforme en une éternité de douleur silencieuse. Finalement, après une longue méditation, je me résous à rentrer chez moi. Préparer le souper est devenu un rituel presque mécanique, un moyen de me distraire de ce vide. Ce soir, ce sera une soupe d'épeautre, un plat humble et réconfortant, mais dont le goût me paraît fade, comme tout le reste.

Alors que je m'installe à ma table, le bruit soudain de coups frappés à ma porte me surprend. Qui pourrait bien venir me voir ici, dans cet endroit isolé ? Je tends l'oreille, mon cœur battant plus vite. La solitude a peut-être aggravé ma méfiance. Mes pouvoirs, que j'avais presque oubliés, s'éveillent soudainement, montant en moi comme une vague prête à déferler. Une sensation familière et pourtant dérangeante se répand dans mon corps, me rappelant les jours où la magie coulait librement dans mes veines.

Il a écrit ça en dernière page de sa lettre alors, j'ai décidé de la graver sur l'épitaphe. Pour que chaque fois que je vienne je me rappelle de lui, mais aussi à quel point c'était un homme bon. Mais il a raison, il faut tourner la page.

Après une bonne dizaine de minutes a médité, je retourne chez moi et prépare le souper du soir. Au menu, soupe d'épeautre, c'est une soupe à base de carotte, de navet et de potiron. La table préparée et la soupe terminée, je me dirige vers ma table de salle à manger afin de manger quand j'entends quelqu'un frapper à ma porte.

Une étrange énergie, ancienne et puissante, s'éveille en moi, déchirant le voile de tranquillité qui m'entourait. Mes pouvoirs, que je croyais à jamais endormis, se réveillent avec une force insoupçonnée, vibrant en réponse à cet appel inattendu.

Je m'approche de la porte, hésitante, et l'ouvre avec prudence. Devant moi se tient Raymondin, un visage du passé que je n'attendais plus. Mais ce qui me frappe en premier, c'est l'état dans lequel il se trouve : couvert de sang, ses vêtements déchirés, tenant son bras comme s'il allait s'effondrer. Ses yeux sont remplis de fatigue, de douleur, et quelque chose d'autre, de plus sombre.

– Désolé, mais je n'avais nulle part où aller.

Avant que je ne puisse réagir, avant même que mes lèvres ne puissent former une réponse, il s'effondre contre moi, son corps épuisé cédant sous le poids de ses souffrances. Je ressens le choc de son corps contre le mien, et une onde de puissance traverse mes veines, réveillant mes sens d'une manière que je n'avais pas connue depuis des années. Mes pouvoirs, autrefois silencieux, grondent en moi, répondant à sa présence.

Les secrets du royaume [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant