La Rôdeuse Du Nord : messagère de l'ombre

Chapitre 18

Un silence de mort venait de s'abattre sur eux. Le tintement des armures, la course des soldats et des troupes vers la porte semblaient s'être momentanément envolés.

Gaviria demeura immobile plusieurs secondes, trop ébahie par la scène qui était en train de se dérouler sous ses yeux. Tendue comme un arc, elle gardait les yeux rivés sur cette lame fine et étincelante. Croisée avec une autre arme, toutes deux issues de la même lignée. Deux armes qui n'avaient pas à se croiser, jamais à se défier. Pourtant, ce fut bien la lame de Legolas qui virevolta et vint repousser celle de Thranduil, dont l'éclat verdâtre narguait la Lunard. Cette dernière, toujours étourdie par la douleur de sa main, mit du temps à comprendre que Legolas était en train de l'aider à se relever. Qu'une poigne ferme et solide sur son avant-bras la soulevât du sol, l'aidait à retrouver son équilibre. La jeune femme était trop surprise pour dire quoi que ce soit. Le roi elfe l'était tout autant, et à la différence de la rôdeuse, paraissait également au bord du gouffre, abasourdi. Quelques secondes passèrent, et elle risqua un regard vers le prince, dont les yeux brillaient de colère. Il se tenait debout, rigide comme une statue.

- Votre parole n'a-t-elle donc aucune valeur ? cracha-t-il froidement, sans lâcher la vagabonde du bras.

- Legolas... souffla Thranduil, désemparé.

- Laissez-les partir, tous les deux. Gaviria a rempli sa part de votre accord, vous lui devez la liberté.

Thranduil, qui ne perdait pas son air dérouté, ne répondit pas tout de suite. La liberté de la Lunard dépendait toujours du roi, cependant, les actions de son fils venaient de réduire à néant son autorité sur la captive. Gaviria sentait les liens familiaux s'interposer dans la hiérarchie. Le souverain elfe pouvait asseoir son pouvoir légitime, ou alors écouter les paroles de son fils. Un choix entre sa fierté royale et son devoir familial.

Son regard acéré ne cessait ses allers-retours entre la prisonnière et Legolas, et quand il s'adressa à ce dernier, sa voix sonnait presque plaintive.

- Tu t'interposerai entre ton roi et sa captive ?

Le jeune elfe gardait son expression féroce, et Gaviria sut qu'il ne démordrait pas. De longues secondes passèrent, et son silence fut plus éloquent que n'importe quel discours. Les deux êtres sylvains se toisèrent longuement, l'un d'un regard sèvre, l'autre avec un désespoir grandissant. Thranduil, bien qu'à contre-cœur, abaissa sa longue épée, et fit un signe de la tête aux gardes qui retenaient encore Darian.

Le Lunard se rattrapa de peu aux pierres près de lui lorsque les deux elfes armés lâchèrent leur emprise. Gaviria voulut lui prêter main forte, mais celle de Legolas serrait encore fermement son bras. Elle tira alors légèrement sur sa poigne, mais au contraire, cette dernière se durcit.

- Allez-vous-en, déclara le roi à l'attention des deux Lunard.

Son ton était sans appel, indéchiffrable, et la jeune femme était presque sûre que ses yeux s'étaient mis à briller. Il avait encore son regard braqué sur son fils quand il leur parla, et finit par ses détourner d'eux avec une expression peinée sur le visage. Gaviria sentit alors que Legolas la forçait à faire de même, Darian sur leur talon.

Ils quittèrent tous les trois rapidement la passerelle, et s'arrêtèrent quand ils furent assez loin d'oreilles ou regards indiscrets. Seulement maintenant, l'elfe libéra la Lunard de sa poigne et celle-ci en profita pour soutenir son confrère en piteux état.

Elle allait pour le remercier, mais l'affliction sur le visage de son sauveur coinça quelque peu ses remerciements dans sa gorge. La colère brûlait toujours, mais il y avait maintenant une souffrance qu'elle n'arrivait pas bien à placer. Peu sensible aux états d'âmes de ces créatures, la rôdeuse ne savait pas quoi penser de l'échange silencieux entre le roi et son fils, quelques minutes auparavant. Elle ne pensait pas que le roi se laisserait convaincre aussi facilement. Néanmoins, l'expression de l'elfe devant elle paraissait ne pas partager le même sentiment.