Partie I: Lunard / Chapitre 1

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Appuyée contre un arbre, Gaviria décortiquait son butin d'un œil minutieux. Elle devait savoir combien de temps ces ressources allaient lui permettre de survivre, et surtout jusqu'où elle pouvait aller sans avoir à dépouiller un autre malheureux. Ma foi, pensa-t-elle, celui-ci avait bien mérité son dur châtiment. La jeune femme l'avait déjà surpris la veille à agresser une aubergiste d'un âge avancé, prétextant une viande trop cuite et un fromage rempli de moisissures. Ce n'était pas dans l'habitude de la rôdeuse de rendre justice aux victimes des hommes arrogants. Incapable de ressentir quoi que soit, rien ne pouvait ébranler son cœur gelé depuis longtemps. Son désir de justice était inexistant, et le sort d'innocents ne l'intéressait guère. Gaviria ne souhaitait que survivre en Terre du Milieu, à l'abris des guerres et des regards.

Comptant les fruits secs un par un qu'elle venait d'acquérir, un gémissement à peine audible parvint à ses oreilles. Elle tourna vivement la tête, et vit l'homme près d'elle ouvrir les yeux. Sans perdre une seconde, la jeune femme se leva et observa l'agonisant d'un regard indifférent. L'homme tentait désespérément de se relever, mais n'y parvenait pas, la douleur lui saisissant le dos.

Lâchant un soupir d'exaspération, Gaviria prit un morceau de chêne se trouvant près d'elle et considéra une dernière fois sa victime. Celle-ci rampait sur sol, telle une gluante limace traînant mollement son corps. La douleur fit vriller les tympans de la pauvre âme sur le sol, l'arrêtant net dans son geste. Il s'écroula brusquement, à bout de force. 

La Lunard resserra sa prise sur son rondin de bois, et celui-ci fendit l'air avant de s'abattre violemment sur le crâne de l'agresseur de la veille. Ce dernier mourut sous le coup de l'immortelle aux yeux de braise. Un craquement sonore retentit, et du sang s'écoula presque aussitôt de la tempe du mort. Elle jeta sans plus de cérémonie son arme de bois, reprit ses vivres et quitta le sentier pour s'enfoncer plus loin dans les plaines d'Erebor. 

La meurtrière n'aimait pas rester autant à découvert, encore plus lorsqu'elle se trouvait près de la montagne Solitaire, encore et toujours gardée par le dragon cracheur de feu. Quelques jours auparavant, de petites silhouettes s'étaient détachées sur le flanc rocheux du pic, intriguant quelque peu Gaviria. Mais celle-ci s'était vite détournée, lorsque ces ombres avaient disparues derrière une porte, qu'elle supposait cachée dans le roc. Tout cela lui semblait de mauvais augure, et le courroux de Smaug risquerait de s'abattre incessamment sous peu si ces voyageurs s'avançaient trop près de son trésor. Elle avait donc soigneusement évité de passer trop près de cet endroit, pensant bien qu'un dragon pouvait faire d'elle son repas. 

Durant son chemin Gaviria avait aperçu au loin Esgaroth. N'ayant pas souhaité s'approcher du lac, elle n'avait distingué que des maisons et des bâtisses à même l'eau, prisonnières d'un épais brouillard. L'endroit n'était pas très grand, et semblait en proie à un froid perpétuel. La rôdeuse n'osait pas imaginer ce que le lézard cracheur de feu pourrait infliger à ces pauvres gens, déjà assez démunis. Passer non loin de Dale lui avait permis de comprendre les dégâts que causait un dragon convoitant de l'or, et les récits qu'elle avait entendus à quelques auberges lui avaient confirmé ce malheur. Le peuple de la ville en ruine s'était retrouvé à errer dans la Terre du Milieu, sans pourvoir s'établir nul part. Les gens de Lacville ne méritaient pas un tel destin.

Après  avoir dépasser la lisière du sous-bois qui entourait Dale, Gaviria se retrouva face à une grande prairie à l'herbe sèche et drue. Elle devint hésitante, trouvant l'endroit très dégagé et propice aux rôdeurs et voyageurs. Celle-ci n'avait aucune envie de faire face aux hommes qui, la plupart du temps, la considéraient comme une pauvre villageoise perdue, et pensaient pouvoir lui prendre ses vivres ou autres objets de valeurs. Laisser un énième cadavre au milieu des hautes herbes était bien la dernière chose qu'elle souhaitait faire. Celui du bois allait déjà attirer l'attention si quelqu'un le trouvait avant qu'il ne commence à se décomposer ; cela lui poserait bien des problèmes. Son ancien compagnon de voyage, Darian, lui avait fortement conseiller de passer inaperçue .Car c'était à cause d'attaques et de meurtres à répétition que son peuple s'était fait remarqué, puis décimé.

La Rôdeuse Du Nord : messagère de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant