Blackwood : Jeux interdit

Chapitre 33 : Les ombres du passé

Le vent soufflait doucement à travers les arbres tandis qu'Alice et Liam avançaient sur le sentier obscurci par la nuit. La rencontre avec Lyra avait bouleversé les certitudes d'Alice. Elle pensait avoir enfin trouvé son équilibre, mais les paroles de la messagère résonnaient dans son esprit comme un écho insistant. Les Anciens. La prophétie. Une clé cachée dans les ténèbres.

— Je ne comprends toujours pas ce qu'elle voulait dire, avoua Alice, brisant le silence qui s'était installé entre eux. « Comprendre ma véritable nature »... J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à essayer de la comprendre.

Liam, à côté d'elle, fronça les sourcils, pensif.

— Peut-être qu'il y a plus que ce que tu crois. Ton pouvoir est déjà immense, mais si la prophétie parle d'un équilibre plus grand, il se pourrait qu'il y ait encore des aspects de toi-même que tu n'as pas encore découverts.

Alice hocha la tête, réfléchissant aux mots de Liam. Elle avait appris à accepter la lumière et les ténèbres en elle, mais cela ne suffisait peut-être pas. Peut-être que ce pouvoir, ce lien entre les deux forces, cachait encore des secrets.

Leur marche les mena finalement aux abords d'une vieille route pavée, abandonnée depuis des décennies, peut-être plus. Les arbres semblaient former un tunnel naturel, leurs branches se rejoignant au-dessus de leurs têtes comme une arche sombre. Le chemin semblait inviter Alice à avancer, comme s'il l'attendait.

— C'est ici, murmura-t-elle, sentant quelque chose au fond d'elle qui la poussait à continuer.

Liam ne dit rien, mais il la suivit sans hésiter. Ils marchèrent en silence, leur respiration légère le seul son qui accompagnait le bruissement des feuilles sous leurs pas. Chaque pas les rapprochait de quelque chose, Alice le sentait. Mais quoi ?

Soudain, une silhouette se matérialisa devant eux. D'abord indistincte, elle prit forme peu à peu, révélant un homme au visage familier.

— Père ?

Alice s'arrêta net, le souffle coupé. L'homme qui se tenait devant elle était la copie conforme de son père, celui qu'elle avait perdu des années plus tôt. Ses yeux étaient empreints de la même tendresse mélancolique, et il la fixait avec une intensité qui la paralysa.

Liam, sentant l'énergie étrange émaner de cette apparition, s'interposa rapidement entre eux.

— Ce n'est pas lui, Alice, dit-il fermement, une note d'alarme dans la voix.

Mais Alice ne pouvait détourner son regard. Elle s'avança doucement, malgré la mise en garde de Liam. Son cœur battait à tout rompre, partagé entre l'espoir et la méfiance.

— Papa... C'est vraiment toi ? demanda-t-elle, sa voix tremblante.

L'homme ne répondit pas tout de suite. Il la regarda avec une douceur infinie, mais ses yeux brillaient d'une étrange lumière, presque surnaturelle.

— Alice... murmura-t-il enfin, d'une voix presque inaudible.

Ce mot, ce seul mot, eut l'effet d'une onde de choc en elle. Elle se souvenait de la dernière fois qu'elle avait entendu cette voix. Le souvenir de sa mort, de cette nuit où tout avait basculé, se ravivait douloureusement en elle.

— Je t'ai cherché, poursuivit-il, s'avançant de quelques pas. J'ai toujours su que tu survivrais. Que tu deviendrais plus forte. Mais je suis venu te prévenir. Ce chemin que tu empruntes... il te mènera à ta perte.

Alice sentit une angoisse grandir en elle, mais elle ne pouvait détourner le regard.

— À ma perte ? répéta-t-elle. Mais je cherche à comprendre... à restaurer l'équilibre !

L'homme secoua doucement la tête, un sourire triste sur les lèvres.

— L'équilibre... est une illusion. Ceux qui prétendent le préserver ne font que jouer avec les forces qu'ils ne peuvent contrôler. Ce pouvoir en toi, Alice, il te consume déjà, et tu ne t'en rends même pas compte.

Liam, toujours en alerte, fronça les sourcils.

— Alice, écoute-moi, ce n'est pas réel. Il essaie de te manipuler.

Mais Alice était partagée. L'apparition de son père, ses paroles... Cela semblait si réel. Pourtant, quelque chose au fond d'elle criait de se méfier. Elle se rappela les enseignements de Callista et la dernière rencontre avec Azrael. Les ténèbres avaient souvent pris des formes trompeuses, jouant sur ses faiblesses et ses émotions.

— Pourquoi devrais-je te croire ? demanda-t-elle enfin, reculant d'un pas.

L'homme ne sourit plus. Son expression se durcit, et son regard se fit plus perçant.

— Parce que je suis ton père. Je t'ai protégée autrefois, et je suis venu pour te protéger à nouveau.

Mais cette phrase sonna creux dans l'esprit d'Alice. Son père l'avait protégée, oui, mais cette présence devant elle ne lui ressemblait plus. Il y avait une froideur, une manipulation sous-jacente qu'elle ne pouvait plus ignorer.

— Non, dit-elle doucement mais fermement. Tu n'es pas mon père.

L'homme recula légèrement, ses traits se déformant sous l'effet d'une colère froide.

— Tu ne comprends pas encore, Alice. Tu ne saisis pas la puissance que tu es sur le point de libérer. Je ne suis pas ton ennemi. Mais si tu refuses de m'écouter, alors tu ne seras plus qu'une proie facile pour ceux qui te traquent.

Alice sentit la noirceur s'épaissir autour d'eux, comme si le monde lui-même se resserrait. Mais elle n'avait plus peur.

— Peut-être que je ne comprends pas encore tout, répondit-elle avec une force nouvelle dans la voix. Mais je sais une chose : je ne laisserai plus les ténèbres me dicter ma voie.

Elle tendit la main, et une lumière douce mais puissante jaillit de ses doigts, illuminant la silhouette de l'homme. Il hurla, une voix déformée, non humaine, et son apparence commença à se désintégrer sous la lumière. L'illusion se brisa, révélant une créature d'ombre, un esprit manipulateur qui se nourrissait des peurs d'Alice.

La créature disparut dans un éclat de fumée noire, ne laissant qu'un silence pesant derrière elle.

Liam s'approcha doucement d'Alice, son regard rempli de soulagement.

— Tu l'as vu pour ce qu'il était, dit-il doucement.

Alice hocha la tête, encore secouée par l'intensité de l'épreuve. Mais elle se sentait plus forte maintenant, plus en contrôle de ce qu'elle était.

— C'était un test, murmura-t-elle. Un avertissement, peut-être. Mais je sais que je dois continuer.

Liam passa un bras protecteur autour de ses épaules.

— Et tu n'as pas à le faire seule.

Alice sourit faiblement. Elle savait que le chemin serait encore long et parsemé d'embûches, mais elle n'était plus cette jeune fille effrayée par les ténèbres en elle. Elle était prête à affronter ce qui viendrait, car elle avait enfin compris que la lumière et l'ombre pouvaient coexister. Ensemble, elles lui donnaient la force de continuer.

Et au loin, à travers les arbres, une lueur commençait à percer. La route vers les Anciens s'ouvrait devant eux, prête à révéler ses secrets.