Blackwood : Jeux interdit

Chapitre 43 : L'abîme des souvenirs

Le voyage vers l'Abîme des Souvenirs n'était pas une simple traversée des méandres du Nexus. C'était une épreuve à la fois mentale et émotionnelle, un chemin qui semblait se dérouler à l'intérieur de leur propre esprit aussi bien que dans le Nexus lui-même. Alice et Liam s'enfonçaient de plus en plus profondément dans les dédales dimensionnels, leurs pas lourds de questions sans réponses et de craintes invisibles.

— C'est ici, murmura Alice en sentant l'air devenir plus lourd, presque palpable, comme si chaque respiration demandait un effort.

Devant eux, une faille étrange s'ouvrait dans la toile du Nexus. Elle ressemblait à une cicatrice, un espace sombre et vacillant, impossible à définir clairement. Elle pulsait doucement, comme un cœur battant au ralenti, et une énergie sourde en émanait, emplissant l'air d'une tension qu'ils n'avaient jamais ressentie auparavant.

— Ça ne ressemble à rien de ce qu'on a vu jusque-là, dit Liam, la voix tendue. L'Abîme des Souvenirs... Quel genre de choses allons-nous trouver là-bas ?

Alice fronça les sourcils, ses pensées tourbillonnant. Thalia leur avait dit que cet endroit contenait des fragments laissés par chaque Gardien, mais elle avait omis de mentionner l'impact personnel que cet endroit pourrait avoir sur eux. L'Abîme n'était pas juste un lieu physique, il puisait dans leurs souvenirs, leurs peurs, et peut-être même leurs regrets les plus profonds.

— Nous allons devoir être prêts à affronter nous-mêmes, répondit Alice en posant une main rassurante sur le bras de Liam. Ce que nous verrons là-bas pourrait nous désarmer si on n'y fait pas attention.

Liam hocha la tête, son regard plus déterminé que jamais. Ensemble, ils franchirent la faille, et l'air autour d'eux changea instantanément.

Le monde de l'Abîme se révéla être une mosaïque de paysages, chacun aussi incohérent que fascinant. Des fragments de réalités disparates flottaient dans un vide infini, des souvenirs épars laissés par les Gardiens précédents. Ici, un champ de bataille couvert de brume, là, une mer calme sous un ciel d'encre. Ils marchaient au milieu de ces souvenirs sans réellement interagir avec eux, mais l'Abîme semblait vibrer en réponse à leur présence.

Soudain, une silhouette familière apparut devant eux. Alice s'arrêta net, les yeux écarquillés.

— C'est impossible, murmura-t-elle.

Devant elle se tenait une version plus jeune de sa mère, telle qu'elle l'avait connue avant que sa vie ne soit bouleversée par le destin de Gardienne. Ses yeux, si pleins d'amour et de sagesse, la fixaient avec douceur, comme si elle n'était jamais partie.

— Alice, dit la vision d'une voix douce.

Liam s'avança, interloqué par cette apparition, mais il comprit rapidement ce qui se passait. L'Abîme fouillait dans leurs souvenirs, leur montrant des choses qu'ils n'étaient pas prêts à affronter. Il posa une main sur l'épaule d'Alice.

— Ce n'est pas réel, Alice, c'est l'Abîme qui joue avec toi.

Mais pour Alice, tout semblait si authentique. Elle sentait presque la chaleur maternelle qui émanait de cette vision. Une douleur sourde s'éleva en elle, celle qu'elle avait longtemps refoulée depuis la disparition de sa mère.

— Tu as tant changé, continua la vision de sa mère. Regarde où tu en es maintenant... As-tu seulement pensé à ce que cela te coûte ? À tout ce que tu as sacrifié ?

Alice ferma les yeux, tentant de repousser cette illusion, mais les paroles frappaient droit dans son cœur. Elle savait que ce n'était pas sa mère, mais les mots résonnaient avec une vérité cruelle. Elle avait changé, elle avait sacrifié plus qu'elle n'était prête à l'admettre. Pourtant, elle ne pouvait pas se permettre de faiblir maintenant.

— Je sais ce que j'ai perdu, murmura Alice en serrant les poings, les larmes lui montant aux yeux. Mais je dois continuer. Pour toi, pour moi, pour tout ce que nous avons vécu.

La silhouette de sa mère se dissipa doucement, comme une brume emportée par le vent. Alice sentit son cœur se resserrer, mais elle savait que ce n'était qu'une épreuve parmi d'autres.

Liam restait à ses côtés, attentif. Mais à peine avaient-ils repris leur marche que le paysage se transforma à nouveau. Cette fois, ce fut Liam qui s'immobilisa. Devant lui, une version plus jeune de lui-même apparut. Un Liam plus naïf, plus insouciant, encore ignorant des responsabilités qu'il porterait un jour.

— Regarde-toi, lança le jeune Liam avec mépris. Tu penses vraiment que tu as ce qu'il faut pour être un Gardien ? Pour sauver le Nexus ? Tu n'es qu'un gamin qui s'est perdu en chemin.

Liam resta figé, les poings serrés. La version plus jeune de lui-même semblait prête à l'attaquer, à le confronter avec toutes ses insécurités et ses doutes. Il avait toujours craint de ne pas être à la hauteur, de n'être qu'un second rôle dans cette histoire grandiose. Et maintenant, c'était comme si l'Abîme donnait vie à ces peurs.

— Non, dit Liam enfin, sa voix tranchante. J'ai fait des erreurs, oui. Mais ce que j'ai appris, c'est que chaque épreuve m'a rendu plus fort. Tu n'es qu'un souvenir, une partie de moi qui ne comprend pas ce que je suis devenu.

Le jeune Liam le fixa un instant avant de disparaître dans un souffle d'air, laissant derrière lui un silence lourd.

Alice posa sa main sur celle de Liam, serrant ses doigts pour lui rappeler qu'ils n'étaient pas seuls. Ils se soutenaient l'un l'autre, et c'était ce qui les rendait plus forts que ces illusions.

— L'Abîme ne veut pas seulement tester nos souvenirs, dit Alice d'une voix ferme. Il cherche à nous briser, à réveiller nos doutes. Mais nous devons rester concentrés.

Liam hocha la tête, reconnaissant pour sa force.

Ils continuèrent à avancer dans l'Abîme, traversant d'autres fragments de souvenirs, d'autres épreuves qui tentaient de les déstabiliser. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent, chaque souvenir plus personnel, plus intime. Mais peu à peu, ils sentirent qu'ils s'approchaient de leur objectif.

Et puis, au loin, ils virent une lumière vacillante. Elle semblait vivante, comme un battement de cœur, et pourtant, elle était entourée d'une obscurité plus dense que tout ce qu'ils avaient vu jusqu'alors.

— Le Cœur Primordial, murmura Alice.

Ils accélérèrent le pas, mais à mesure qu'ils se rapprochaient, l'air devint plus oppressant. L'obscurité se refermait sur eux, comme une ombre vivante prête à les engloutir. Mais ils ne pouvaient pas s'arrêter. Pas maintenant.

— On y est presque, lança Liam, les muscles tendus.

Ils atteignirent enfin la source de la lumière, une sphère d'énergie pure, suspendue dans l'air. Le Cœur Primordial brillait d'une intensité rare, mais quelque chose dans cet éclat semblait brisé. Il ne pulsait pas comme il aurait dû. Au lieu de cela, il vacillait, comme une flamme qui s'éteint.

— Quelque chose ne va pas, dit Alice, une angoisse montant en elle.

Et avant qu'ils ne puissent faire un geste, une ombre surgit des ténèbres, enveloppant le Cœur Primordial dans une étreinte glaciale. Une voix familière résonna dans l'air, sourde et menaçante.

— Vous êtes arrivés trop tard.

Alice et Liam se retournèrent d'un coup, leurs cœurs battant à tout rompre.

Là, devant eux, se tenait une figure qu'ils pensaient avoir vaincue : l'Ombre. Mais elle semblait différente, plus puissante, comme si elle s'était nourrie des énergies du Nexus lui-même.

— Je vous avais dit que le jeu ne faisait que commencer, murmura l'Ombre avec un sourire cruel.

Alice et Liam échangèrent un regard. La bataille n'était pas terminée.