Chapitre 4/ PIERRE

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Septembre 2019

Un matin, sur une route bien dégagée, idéale pour le chariot, j'avais emballé les sabots de Tempête et les roues dans du tissu pour atténuer le bruit sur le goudron. Le sens de la discrétion était devenu une seconde nature chez moi. Thor s'est mis à gronder, le poil hérissé, et je me suis demandé pourquoi. Son attitude trahissait un danger que je ne ressentais pas. Par prudence, j'ai encoché ma flèche. Mais je ne m'inquiétais pas.

Soudain, mon chien s'est assis, langue pendante, et on aurait pu croire qu'il souriait. Il remuait la queue, balayant la route, comme s'il attendait une connaissance, un pote pour jouer. Un homme était en vue, à cent mètres de nous. Il écartait les mains de ses armes, me faisant signe qu'il ne cherchait pas la bagarre. J'ai rangé ma flèche et remis mon arc à sa place, écartant également mes mains de mes hanches.

Nous ne nous étions pas encore parlés, mais nous savions déjà tous les deux qu'il y avait une trêve. Rien qu'à voir le comportement de mon chien, je savais que je pouvais parler tranquillement avec ce gars-là. Nous nous sommes salués poliment, comme si nous étions dans le salon de Madame de je-ne-sais-quoi. Il s'appelait Pierre.

L'heure de la pause casse-croûte arrivait, et je lui ai proposé de manger avec nous. Denis n'avait pas l'air ravi au début, comme si le fait de partager un repas avec cet intrus allait le priver de nourriture. Luc gardait le silence.

En mangeant avec Pierre, je ne partageais pas seulement un repas, mais aussi des informations de survie. Je lui ai parlé de tous les dangers que nous avions croisés et qu'il risquait de rencontrer sur son chemin : des fous de Dieu, de la brume verte, de l'eau rose, mais aussi des écumeurs, des mutants et le froid. Je localisais ces menaces avec précision. Mon père me murmurait :

« L'information fait toute la différence entre vivre et mourir. Plus tu en apprendras, mieux ce sera. »

Luc a fait une petite grimace, comme s'il se mordait la langue.

Pierre m'a rendu la politesse en me signalant les dangers qu'il avait croisés sur sa route. Je ne pourrais pas descendre encore très loin dans le sud ; tout le front de mer avait changé, et toutes les villes côtières avaient été ravagées par des raz-de-marée gigantesques.

Je lui ai dit mon intention d'aller vers Millau, et il m'a répondu que cela pouvait aller de ce côté-là. Curieusement, il n'avait croisé personne. De gigantesques colonnes de pierre, de plusieurs kilomètres de diamètre, s'élevaient haut vers le ciel, et il avait fait un grand détour pour les éviter, car cela lui avait filé la trouille. Pourtant, il n'avait pas l'air d'être quelqu'un de sensible à la peur. Sa description de l'endroit était pourtant tellement proche de mon rêve que j'ai eu du mal à comprendre sa réaction.

Nous avons fini notre repas, un peu penauds de ne pas savoir quoi dire en dehors des dangers.

..Denis a pris la relève. Celui-là, pour le faire taire, j'avais dû l'engueuler deux jours auparavant. Il avait boudé pendant deux heures avant de recommencer à parler. Il bombardait notre invité de questions et commençait à lui raconter notre vie. Il me tapait tellement sur les nerfs que j'aurais pu facilement lui couper le cou. Luc a fini par lui dire de se taire en voyant la gêne du marcheur face à son père. Quand on voyage seul, on n'a pas l'habitude de parler, et encore moins d'entendre autant de mots.

Se tournant vers moi, Pierre a fini par me parler de son intention d'aller à Vichy, où se trouvaient ses parents. Cela m'a fait de la peine de lui annoncer que la ville était noyée et qu'il était impossible qu'il y ait des survivants. Il est devenu très pâle, et je retenais presque mon souffle ; parfois, on tue le messager. Thor est venu se caler contre lui, et Pierre a enfoui son visage dans le cou du chien pendant quelques minutes. Il s'est redressé doucement, et son regard plein de tristesse m'a fait mal :

le cycle des protecteurs -1er tome :le voyage de mèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant