le cycle des protecteurs -1er tome :le voyage de mère

Chapitre 10 L'ATTENTE

Mon ventre s'arrondissait, mes petits s'en donnaient à cœur joie, et Pierre ne me lâchait pas d'une semelle. Il ne restait plus que quelques mèches noires dans sa crinière blanche, mais ses yeux étaient argentés. Pour les enfants et moi, son esprit était toujours ouvert : aucune cachotterie, aucune ombre, seulement son amour. Parfois, pendant que je travaillais, je l'entendais rire ; il discutait souvent avec mon père et avait même fini par faire la connaissance de Pascal, qui ne lui en voulait plus du tout. Nos petits le faisaient rire aussi. Ils n'avaient pas encore appris à respirer qu'ils savaient déjà parfaitement faire marcher tous les protecteurs du plateau.

J'ai dû trouver une solution pour le sucre, qui diminuait à vue d'œil. Comment faire des confitures sans sucre ? N'ayant pas de cannes à sucre en échantillons, je me suis rabattue sur la betterave sucrière. Il m'a fallu toute une journée pour trouver le moyen de transformer la betterave en sucre. D'où la nécessité de créer rapidement des champs de betteraves.

Finalement, tout s'enchaînait. Il y eut des champs de blé, des moulins à farine, des tartes, des pains et des gâteaux. Des silos à grains vinrent s'ajouter au paysage. Et à chaque nouvelle réinvention, une fête ! Presque une par semaine. Je crois qu'elles étaient nécessaires à la cohésion, comme les repas en commun : après tout, nous étions une famille. Une famille recomposée, certes, mais avec ses individus, ses caractères, ses disputes et ses histoires d'amour.

Janvier 2021. Pour les récoltes, il y avait des chevaux et des chariots, des paniers en osier. Tout le monde dans les champs, avec des rires, des chansons, et bien sûr, une fête ! On ne pouvait pas mourir de faim sur le plateau, ni d'ennui. Une image à graver : mon Pierre, torse nu, luisant de transpiration, fauchant avec vigueur le blé mûr en chantant à tue-tête Gare au Gorille de Georges Brassens.

Les humains ont commencé à construire des choses par eux-mêmes : des flûtes, des percussions et des "crin-crins" qui animaient nos fêtes. C'était la renaissance de la musique. La vigne a mûri et ce fut le moment des vendanges. Bruce s'était beaucoup intéressé à la vinification, et il voulut utiliser une partie de la récolte pour nous faire une surprise. Nous avions bien assez pour qu'il en gaspille un peu, alors je l'ai laissé faire.

Le 15 février 2021, Isabelle et moi avons pris des chevaux et sommes allées chez moi, près du lac Espoir. Les petits allaient bientôt arriver, et je voulais être au calme, me reposer. Nous n'étions pas arrivées depuis une heure que Pierre est arrivé, furieux...

« Tu ne peux quand même pas me laisser au village pour accoucher sans moi à la maison ! »

« Comment tu as su ? »

« Ce sont les petits qui me l'ont dit, et ils ont fait passer l'info à tout le monde. Si tu pensais les mettre au monde en douce, c'est raté. Tout le monde arrive. Ils attendront dehors, mais ils seront là ; tu ne peux pas leur refuser cette joie. Cela fait des mois qu'ils préparent, en secret, des cadeaux pour les enfants et pour toi. Quant à moi, je suis leur père ; j'ai le droit et le devoir d'être près de toi, toujours et pour toujours. »

Je lui tendis les bras, et pour la première fois depuis mes six ans, je me mis à pleurer comme une fontaine sans même savoir pourquoi. J'entendis mon père :

« Je suis là, ma princesse. J'ai loupé ta naissance et celle de Nicolas, mais je ne manquerai pas celle des jumeaux. Pleure tant que tu veux, tu en as le droit. Je ne te ferai aucun reproche, même si tu te mettais à hurler à la lune. »

Entre deux sanglots, je hoquetai :

« T'en fais pas, personne ne loupera rien. Ils ne seront là que demain matin. »

Bruce et Luc étaient en bas, dans le hall d'entrée. Les gens du village commençaient à arriver en chariot, ils s'installèrent, déployant de grandes couvertures en laine bariolée sur l'herbe devant la maison, sortant des paniers de nourriture, prêts à passer tout le temps qu'il faudrait sous ma fenêtre. L'attente commençait !