Chapitre 6/LES ENFANTS DE MÈRE

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Le haras bourdonnait d'activités. Nous avions récupéré les enfants et les avions laissés sous la surveillance de Denis et de Claire, une des femmes du village. Ils s'entendaient bien tous les deux, mais ils ne valaient pas un clou comme nounou. La marmaille courait partout en poussant des hurlements de sioux.

Jusqu'au moment où, me plantant au milieu du couloir et leur bloquant le passage, j'ai hurlé plus fort qu'eux. Après ça, ils ont passé beaucoup de temps à dessiner, lire et chanter, en se tenant loin de mes oreilles. Personne ne m'en a fait le reproche, mais le regard de la douce Isabelle en disait long.

Pour les autres, il y avait du travail : récupérer tout ce qui pouvait servir comme chariot, réparer si nécessaire et poser des arceaux pour mettre des bâches de protection par-dessus. Il fallait s'assurer qu'ils pouvaient être tirés par les chevaux ou par les bœufs une fois chargés, en réserver un pour les semences, des boutures et de jeunes arbres prêts à planter, les racines au chaud dans de la terre enveloppée dans de la toile de jute. Tous les chariots étaient réparés, et je vérifiais qu'ils étaient sûrs. Les animaux d'attelage étaient mis à l'écurie. Moralité, on s'est retrouvés avec onze chariots, en comptant le nôtre.

Je devais aussi surveiller Bruce. J'avais peur que Lady le tue, alors je devais constamment l'obliger à le nourrir, et je sentais toute la répulsion qu'elle avait à le faire. Nous avons eu de la chance : Bruce se sevra de lui-même très vite, à un mois, tandis que l'autre chiot ne quittait pas sa mère. Je me mis à le traîner partout avec moi, d'abord dans une besace, car ses pattes n'étaient pas encore assez fortes pour courir longtemps. Heureusement, cela ne dura pas ; il grandissait vite et pesait son poids.

Il fallut construire des cages qu'on accrochait sur les côtés des chariots pour les poules. Récupérer deux tonneaux à eau par chariot, pas trop gros pour être fixés sur les côtés, mais pas trop petits non plus. Il fallait prévoir large, car on ne trouverait pas forcément de point d'eau à chaque étape, et il fallait penser aux bêtes.

J'en devenais folle. Il y en avait toujours un pour venir me trouver, la tête baissée, pour me poser des questions idiotes. On fait quoi des vaches et des moutons ? On emmène le taureau aussi ? Est-ce que je peux emmener mon chien ? J'ai le droit de garder mes poupées ? Parfois, à bout de nerfs, je les envoyais promener sans douceur. Ils s'éloignaient de moi penauds, et parfois un peu révoltés que je ne m'intéresse pas à leurs petits soucis, alors que j'avais à prévoir un voyage pour eux tous, en tentant de les garder en sécurité.

Le soir, épuisée et sur les nerfs, je n'arrivais pas à m'endormir facilement. Je revoyais ce que j'avais déjà fait et ce qu'il me restait encore à faire. J'avais proposé à Bruce de dormir sur mon lit. Il avait refusé :

« Oh non, maman, bientôt je serai trop grand pour ça, et je serais triste de ne plus pouvoir le faire. »

Je n'avais pas insisté. Mon petit pote savait ce qu'il faisait. Ça ne me choquait pas qu'il m'appelle maman. Après tout, on avait plus de choses en commun tous les deux qu'il n'en avait avec sa mère biologique. Lui aussi me posait des questions, mais elles avaient le mérite de toucher au but. Je lui apprenais l'amour de l'humanité, malgré ses faiblesses qu'il découvrait tous les jours en courant avec moi, partout où j'allais. J'aimais le voir endormi sur le lit que je lui avais improvisé avec une grosse couverture. Je lui parlais de son frère, Nicolas, qui viendrait nous rejoindre sur notre terre. J'avais essayé les histoires pour l'endormir, mais j'avais vite arrêté après le Petit Chaperon Rouge, où j'avais dû faire nuit blanche pour le consoler et répondre à ses questions.

Pierre et Luc avaient pris à leur charge l'apprentissage, pour ceux qui en étaient capables, de l'art du combat. J'étais allé voir ce qu'ils faisaient. J'allais même jusqu'à faire une démonstration avec Pierre. Mon père riait ; pour lui, c'était comme de vouloir apprendre à conduire à un chien. Notre démonstration impressionna tout le monde ; même ceux qui ne participaient pas aux cours étaient venus en curieux. Pierre s'était précipité sur moi, comme l'aurait fait un écumeur ou un fou de Dieu. D'une pirouette, je l'avais évité facilement, me retrouvant derrière lui. Je lui avais donné un coup de pied dans le haut de la cuisse, juste là où il fallait pour que sa jambe ne le porte plus et qu'il tombe lourdement sur le sol. Puis je m'étais retrouvé sur lui, le couteau de mon père sur sa gorge. Total du combat : trois minutes. Isabelle dut soigner la cuisse de Pierre ; c'était énorme, le bleu. Je n'avais pas réalisé que j'avais porté le coup si fort. J'aurais pourtant juré que je ne l'avais qu'effleuré. J'étais désolé.

le cycle des protecteurs -1er tome :le voyage de mèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant