Il ne fait pas encore froid - Hiver

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !)   

(je suis si heureux ! Ayant fermé l'onglet par erreur, j'ai cru avoir tout perdu, mais le texte était enregistré ! Voilà qui ajoute à mon bonheur). 

Dans ce chapitre, j'analyse une oeuvre intégrale, puisqu'il s'agit d'un OS : Hiver, écrit par @JustxLesbianGirl (prose poétique et romance lesbienne). Je vous conseille vivement de lire ce charmant récit, narré à la première personne. Son intérêt ne réside pas dans les péripéties, c'est plutôt un poème en récit, une ballade en prose en quelque sorte, forme de canon sophistiqué. Le terme "charmant" m'a vraiment semblé approprié, et bien que l'enjeu dramatique soit assez faible, la trame simple, il est à mon sens inutile de jouer les esprits chagrins... D'autant plus que ce texte est bon, et plus encore quand on sait que c'est son premier écrit sur Wattpad (les deux autres étant l'un des consignes d'ateliers d'écriture, et l'autre des constats de bugs sur Wattpad). Ce qui est prometteur.

Mais quelle est cette musique ? Eh bien, les gens, il s'agit d'un extrait du Voyage dans la Lune de notre cher musicien franco allemand Jacques Offenbach, spécialiste de l'opérette. Et plus précisément, du Ballet des flocons de neiges, final d'un acte, que je trouve approprié pour illustrer musicalement la nouvelle. Il exprime la joie et la légèreté de l'hiver. 

Du moins, c'est une bonne illustration de la fin, car au début, l'hiver n'est pas vraiment l'hiver...

Le sentiment de manque et sa résolution 

La narratrice, Kath, se "balade", comme elle le dit en anaphore : pourquoi ? Pourquoi se balade t on ? Après tout, une balade ou promenade n'a pas de but, mais est plus joyeuse qu'une errance, alors que la narratrice ressent un manque. La narratrice n'a pas froid, alors que c'est la saison : le problème, le manque (de froid ?) est exposé dès la première phrase, et sa résolution "logique", prosaïque (le réchauffement climatique) est rejetée : ce n'est pas le sujet ici. La narratrice cherche un hiver qui soit l'hiver, il lui plaît de savoir que l'hiver va bientôt être l'hiver, et être est écrit en italique, ce qui nous amène à l'essence. Qu'est ce que l'hiver, quelle est l'essence hivernale ? Au fond, le lecteur se doute de la fin, mais ne l'a pas encore lue, et Kath, à son image, parle d'une "raison inconnue, mais [qu'elle] sai[t] exister". (ce qui est aussi intéressant sur un plan purement syntaxique, même si, déformée par ma formation en linguistique, je me souviens surtout de mon cours de syntaxe de M1, sympa mais il fallait s'accrocher !ex. différence formelle entre que je vois exister et que je sais exister)

Elle comprend, met le doigt dessus en quelque sorte, mais ne saurait dire, et pour cause : nous sommes dans l'ineffable (choses, sentiments ne pouvant être exprimées par des mots), dans le symbolisme (nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, disait Mallarmé). Si je disais platement : ok, c'est un texte où l'hiver n'est pas froid et où Kath cherche le froid, et en fait elle tombe amoureuse de l'allégorie de l'hiver, qui devient enneigé, je ferais tout sauf rendre service au texte. En fait, je massacrerais le texte, comme lorsque Barthes dit de Proust : "le petit Marcel devient écrivain" pour résumer la Recherche

Le sentiment est beau, il est d'abord associé à un lieu, le salon de thé : chaleureux, raffiné également, plus poétique que le café, qui peut être associé à divers pays... La Chine et le Japon (avec la cérémonie du thé, art bouddhiste), ainsi que l'Angleterre et le thé, signe de raffinement. Les salons sont ainsi différents des bars, ou des cafés, tous sont des lieux de sociabilisation, mais chacun est connoté différemment. 

Je ne peux m'empêcher de songer au mythe de Platon sur les androgynes, où originellement séparés, ces êtres retrouvent leur moitié, et c'est ce que signifie l'amour. Ici, Kath cherche le froid, ce qui est décrit comme une quête personnelle : "pour moi", elle est "seule". D'ailleurs, seulement deux personnages, Kath et la jeune femme/fée/allégorie aux cheveux blancs. 

Un hiver chaleureux : une association contre intuitive, voire oxymorique 

La main froide de la responsable du salon de thé fait naître des papillons en la narratrice, Kath, qui semble jeune et peu expérimentée. C'est donc un texte des premiers émois amoureux. Pourtant, si Kath est inexpérimentée, et se laisse guider, elle devine le prénom de son amante : ce qui peut évoquer de petits jeux entre amoureux, et "reconnaître" l'amoureuse, comme une re-connaissance, m'évoque là encore le mythe platonicien. Le fait que le lecteur devine n'est donc pas un défaut, au contraire, je valorise ce mode de compréhension du texte. 

La grande originalité du texte n'est pas tant la poésie de l'hiver que l'association de l'hiver à l'amour. Le froid est en général manque, voire peut être tranchant, glaçant (mot choisi à dessein), meurtrier (encore aujourd'hui, hélas, pour les sans-abris). Physiquement, moins les molécules bougent, plus il fait froid, et la plus froide des températures correspond à l'immobilité (- 272 degrés Celsius). Que ce soit dans le langage courant, déclarer sa flamme, la chaleur humaine, c'est l'amour, c'est même un cliché. Et la magie de l'hiver ? Elle est souvent associée à Noël ou aux fêtes : donc, la magie de Noël, c'est qu'il y ait de la chaleur en dépit du froid. Dans ma religion, même si cela correspond davantage à la lumière (car en hiver les nuits sont longues), la fête de Hannuka célèbre un miracle où la lampe à huile brille huit jours au lieu d'un, donc où malgré l'obscurité il y a plus de lumière que prévu. 

Mais ce que fait faire le texte à la protagoniste, c'est tomber amoureuse de l'hiver. L'hiver, une jeune femme aux cheveux blancs, comme une nymphe, et non un vieillard. On se demande d'ailleurs si Hiver ne l'a pas ensorcelée, ce qui est encore une fois courant puisqu'il est question d'amour : au point que la narratrice prétend adorer la chantilly alors qu'elle adore la neige, mais pas sa "jumelle" (la chantilly, au fond, n'est qu'un artefact de début - c'est très platonicien tout ça ! Les copies des idées, ect x) ). Elle devient "idiote", bafouille, erre et retourne toujours au lieu de son obsession, le salon de thé. 

C'est un poème, un poème mis en récit, ce qui à mon sens ajoute de l'identification possible, dans le sens où le cadre est contemporain et urbain. C'est un texte extrêmement beau et romantique, très (trop?) simple dans sa trame, ce qui m'évoque la poésie. Il s'agit d'une romance, lesbienne comme en atteste le nom de plume de l'autrice, mais je n'ai pas consacré d'axe au lesbianisme car à mon sens, s'il donne de la visibilité au lesbianisme, il est écrit comme une romance, qu'elle soit homo ou hétéro, et j'ai choisi de ne pas insister sur cet aspect. Parfois il convient d'explorer les spécificités du lesbianisme, les questions tels les rôles (ex. butch fem, les suivre ou s'en affranchir ?), les oppressions spécifiques, ect, mais parfois aussi, représenter un couple lesbien sous des angles "humains". Tout dépend du but du texte, au fond, et les lesbiennes ne sont pas uniquement là quand il faut faire du militantisme. 

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Je remercie chaleureusement (c'est le cas de le dire) @JustxLesbianGirl pour cet instant de lecture, je l'encourage à continuer l'écriture. Par curiosité (si c'est indiscret, zappe) : quel âge as tu  ?

Au débutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant