Ne croyez pas que vous êtes à la hauteur - Gémeaux

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !)

Je consacre ce chapitre à l'analyse du prologue  de Gémeaux écrit par @yaddcite (MxM, fantasy). Comme d'habitude, je vous conseille vivement de lire ce prologue pour comprendre l'analyse, et pour l'intérêt du livre en lui-même. 

L'histoire est classée en "mature" et de fait, il est question de sexualité, mais dans le prologue, ce qui m'a marqué.e à première lecture, c'est la franche dureté, outre la beauté des descriptions, raffinées. On se retrouve donc dans un "autre monde", mention est faite d'un ancien "oméga", c'est donc un monde avec ses codes et sa culture (par exemple, on peut y étudier les "sciences des bonnes manières".) En dépit de la sophistication cherchée (on cherche des personnes "magnétiques" pour faire de bons concubins, et chaque geste, regard, détail compte), on est aussi propulsé dans un monde impitoyable... quoi qu'il ne soit rien, le personnage odieux est un "moustique", par rapport à l'expérience du protagoniste.

Après un début "in media res", dans l'action, on se rend compte qu'on est parmi les apprentis concubins et que leur entraîneur Rouxel, extrêmement autoritaire et sans bienveillance, ne les trouve pas à la hauteur (c'est dit dès la première phrase). Mais il est interrompu par sa supérieure hiérarchique, autoritaire à sa manière, car elle jouit d'assez de prestige pour ne pas hausser le ton. Dame Félicia est la chambellane et repère un jeune homme, Ace Bellin, mal en point et doté d'une jambe de bois, mais beau selon les critères de ce monde, les canons. 

L'importance du geste, du regard, du physique 

L'écriture est, à mes yeux, sophistiquée, longues et belles phrases, avec des descriptions physiques (= prosopographies, mot savant ;) ) assez précises. Le costume, par exemple, est décrit : une robe blanche cousue avec des fils d'or et de soie. L'intendant Rouxel a beau proférer des propos sévères, c'est moins ce qu'il dit que ce qu'il dégage qui compte. Le "comme", "comme si" compte beaucoup : il semble "humer l'échec", son bâton paraît un "instrument de torture", "ses paroles claquaient comme un fouet". En clair, c'est un personnage intimidant, j'y reviendrai.

La description physique, si je l'apprécie peu en général (mes livres en comptent peu, dans mon essai "d'encre et de pixels" j'en parle, au chapitre "j'ai dit : pas le physique"), ici, je dois dire qu'elle est dotée d'une réelle utilité. Déjà, parce que les "bonnes manières", la sophistication que l'on trouve dans l'écriture, le raffinement, passe par le physique des aspirants concubins, qui remplit donc un rôle scénaristique. Les regards, dur comme l'acier (Rouxel), ou bleu (Félicia), les gestes, les aspects physiques (ex. les cheveux d'Ace et sa "croupe galbée", qui contribue à l'animaliser) font partie intégrante de l'atmosphère où l'on soigne avec violence chaque détail. (Bien que cela n'ait rien à voir sur le plan du métier, le monde de l'hôtellerie restauration de luxe attend des élèves une tenue extrêmement soignée, un chignon parfait pour les femmes, ect). Ici, on parle plutôt d'une "prostitution" de luxe, mais étatique, et non marginale ou relevant du crime (de même qu'on parle du monde militaire, qui est là aussi une forme de "crime" "étatique"). Finalement, cela évoque plus les harems, les hautes sphères du pouvoir, les Cours exotiques en temps et dans l'espace, que de la prostitution. 

Le personnage d'Ace est observé, et excepté lorsque Dame Félicia demande son nom, il fait l'objet de discussions devant lui, comme s'il n'était pas là, ce qui contribue à réduire sa dignité. Auparavant (et après, à en croire la menace de Rouxel), Ace "ramp[ait] dans la poussière", ce qui a trait à l'humiliation et à la souillure davantage encore qu'à la pauvreté en soi, ou à un faible rang social. Comme le serpent biblique qui est condamné à ramper pour avoir transgressé l'interdit de Dieu. 

Contraste entre deux duretés

Rouxel est intimidant, comme dit, mais il est interrompu par sa supérieure et est sommé de se justifier devant elle. Cependant, une fois Félicia partie, il reprend ses paroles autoritaires. Félicia, par l'autorité qu'elle dégage, due à son rang, n'a même pas besoin de crier ou de frapper : son rang parle pour elle. 

Mais si Rouxel intimide des novices, Ace, sans être insolent ou se rebeller, n'a pas cette réaction intimidée. Pour lui, Rouxel est un agaçant moustique en comparaison de ce qu'il a vécu. Se dresse, en creux, le tableau de ses traumatismes de la guerre et des massacres. La dureté de son passé, les séquelles qu'il en garde, closent le prologue. Ainsi, le prologue n'est pas uniquement tourné vers l'avenir, mais vers ce que le personnage retient du passé. 

La dernière phrase "le nouvel enfer serait peut-être plus supportable que les enfers précédents" est éloquente. C'est un monde où il se fait littéralement ba*ser, alors qu'il n'est pas réellement consentent, (pas de manière éclairée, du moins - j'en profite pour rappeler que dans notre société, le vi*l a lieu si il y a contrainte ou menace), mais "pfff, tout ça, c'est rien par rapport à mon passé". Comme si l'épreuve l'avait "endurci", sans que ce soit nécessairement à son avantage, puisqu'il supporte désormais les mauvais traitements sans se plaindre. Nouvelle parenthèse : cela explique sans doute pourquoi, dans notre monde, des travailleurs sans papiers se laissent humilier là où un "français" se défendrait, et pourquoi il est possible d'en tirer profit. 

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Voilà, je remercie @yaddcite pour ce moment de lecture. 

Au débutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant