Je vois la lune d'ici - Le Masque Ensanglanté

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !)  

Un roman commencé (et que je souhaite reprendre) à mon arrivée sur Wattpad, et c'est en lisant ce genre de plume que je veux valoriser la littérature wattpadienne francophone. Je parle du Prologue du Masque ensanglanté, de @Nolwen_Kamaha, autrice camerounaise, jeune (comme souvent sur Wattpad), et son roman relève du Spirituel et de la Littérature générale

En principe, je ne juge pas les descriptions d'auteurs, ni d'ailleurs les titres, covers, résumés... même si je m'en sers pour m'aiguiller dans mes analyses. Je dirais simplement un mot : ses écrits sont nourris d'auteurs qu'elle cite, parmi eux je connais au moins de nom : King (spécialisé dans l'Horreur), Freud (dont j'ai lu le malaise dans la culture, pour moi ce qu'il écrit est pseudoscientifique MAIS ce médecin autrichien a travaillé à une époque puritaine et pleine de tabous, et il a eu le mérite de changer certaines perspectives et d'innover dans la pensée), Christie (les polars), Adichie (essais, sur le féminisme ou le deuil (le thème du deuil figure dans le présent livre), et romans comme Americanah, de tête), et Amal (camerounaise comme Kamaha, elle a écrit le harem du roi, pour cette rentrée littéraire). Je connais mal les littératures africaines (par rapport à l'Occident où ma culture est plus solide, malgré des lacunes sur la Russie : je suis parisienne, pour contextualiser un peu), même si j'ai pu lire quelques titres (dont un, assez niche, de Flora Nwapa : Efuru). J'ai aussi suivi, en Khâgne, des cours d'histoire sur "la France et l'Afrique, 1830 1962", et ai obtenu 11/20 au sujet "résister à l'ordre colonial" (au concours). 

Lisez le début avant mon analyse, il est magnifique. 

Le début dont j'aimerais parler, je l'ai trouvé à la fois "bien écrit", poétique, et annonciateur de souffrances futures (donc un vrai incipit de roman). Pour un peu de contexte, même si le début nomme peu, on a une narration à la première personne, au féminin, (peut être Mona Lisa, le personnage ?), qui vient de subir une souffrance (des Mutilations Génitales Féminines, MGF, l'une d'elles étant l'excision), ce que l'autrice ne nomme pas mais on le comprend. Le point de vue,  littéralement, porte sur la lune, pleine. 

La souffrance résonne 

Proverbe d'une amatrice de musique classique : le silence après du Mozart, c'est encore du Mozart. Bien sûr, Mozart fait passer un bon moment, alors qu'ici, on a une souffrance qui résonne encore : ce n'est pas un début "in media res", le "gros" de l'"action" (action = violence, très souvent) vient de se terminer, on voit donc l'héroïne qui vient de la subir et souffre. 

Le prologue entre en résonnance avec un proverbe africain. Quand un proverbe accompagne un texte littéraire, il doit être analysé en dialogue, en contexte : c'est ce qu'expliquent les auteurs du Proverbe Africain, ouvrage collectif de linguistes que j'ai pu lire il y a 1, 5 ans. Le proverbe personnifie ici la "malédiction", ce qui relève du "spirituel", en disant qu'elle est toujours rassasiée. Qu'elle est donc plus forte que nous, et de fait, l'héroïne apparaît impuissante et faible dans ce prologue. D'ailleurs, même sans réduire l'Afrique aux famines, le fait est que l'humain subit des famines alors que la malédiction, elle, mange à sa faim, ce qui est particulièrement injuste. 

Le "je", la protagoniste, et le "elles", les autres, les antagonistes, sont en opposition. Elles est un collectif de femmes ayant réalisé la mutilation génitale, peut être la famille. 

Les références au sang font écho au titre et renvoient à la souffrance physique, qui est souvent utilisée de manière politique : ex. tel personnage politique a "du sang sur les mains" (c'est aussi courant, le faux sang en manif quand on dénonce des crimes). Le "fouet", les "coups", et la "mort qui rôde"... cela annonce la couleur, on la sent proche, comme une fatalité (je renvoie au proverbe sur la malédiction). Les "joues violacées", les bras... Montrent que bien qu'il s'agisse de mutilation génitale, c'est tout le corps qui est affecté. Le corps entier succombe, la dernière "partie" à succomber est d'ailleurs l'œil, la vision, même elle finira par s'effondrer. Or, c'est la vision qui permet l'écriture de ce prologue. 

Point de vue et image 

A propos d'Efuru que j'ai mentionnée, j'ai écrit dans une critique Babelio que ce livre n'est pas unn pamphlet ni un réquisitoire : "il y  a un regard, mais il est subtil". Efuru, bien que ce soit un livre assez "large" sur les traditions en pays Igbo (ici, au Nigéria), traite des mutilations génitales féminines et en parle comme étant "douloureuses", de la part d'un personnage. Ici, le roman que j'analyse a une valeur "sociale", et porter un discours sur les mutilations génitales est politique en soi. Néanmoins, l'autrice se concentre sur le "point de vue" (à prendre littéralement, je vais parler de vision) de la jeune fille qui les a subies, de façon subjectives. Plus qu'une dénonciation frontale et un réquisitoire politique, on a donc la parole à la "concernée", car il y a une différence entre un occidental voulant montrer que l'excision est "barbare" à des fins plus ou moins racistes et des féministes africaines qui luttent contre. On est en plein dans un débat décolonial, que j'ai pu avoir dans d'autres circonstances (ex. Juive, j'ai dû pas mal lutter contre le pinkwashing israélien et la critique du sort des LGBT+ en Palestine, car souvent ceux qui tiennent ces discours ne cherchent pas à aider les Palestiniens, AU CONTRAIRE. Je précise que cette question et le militantisme autour est ma seule expérience pratique décoloniale). La parole aux concernés, c'est une banalité de le dire. 

Sur un plan davantage littéraire, on a donc une focalisation interne, et un regard vers le ciel : on suppose que l'héroïne est couchée, qu'elle a accès à l'herbe mouillée, elle entend les grillons, ce qui contribue à "imager" le prologue. La principale image reste cependant la lune avec la comparaison de sa couleur à celle du miel, elle est pleine et un peu plus rousse que d'ordinaire, comme cela arrive avec des "super lune" (je ne sais plus le nom exact du phénomène). 

La lune demeure jusqu'au bout, mais même elle se déforme. S'opère ensuite un "glissement" avec un  autre "elle" qui a fait une promesse (mentionnée dans le résumé). On ignore qui c'est mais la symbolique de la lune renvoie au secret. (Mes recherches sur la symbolique de la lune renvoient surtout à une astrologie occidentale de une, et à laquelle je ne crois pas du tout de deux, donc j'ai laissé tomber). Dans cette lutte individuelle pour rester consciente, l'héroïne finit  par perdre ce qui annonce un roman tragique, j'ai eu l'impression en lisant que le prologue se finissait par une perte de connaissance du personnage. C'est un prologue très "féminin", au sujet de sentiments universels et d'une """"""""tradition"""""" cruelle, elle aussi incarnée par des femmes qui ont pu intérioriser le patriarcat. 

***

Le masque du titre m'évoque le titre de Fanon, ainsi qu'un poème de Senghor dont j'ai pu lire une biographie. 

Comme je suis bavarde ! Et encore : arrivée à 1200 mots et quelques, je n'ai même pas évoqué l'image de "toucher la lune du doigt", que je trouve poétique. Je n'ai pas été exhaustive (je ne m'excuse pas de cela, car même en 1000 mots c'est normal). 

J'ai été très touché.e par ce prologue, alors merci, @Nolwen_Kamaha.  

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