Vanessa traversa le parking - Le chat de la vieille dame

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !) 

 Analyse du premier tiers (1/3) du Chat de la vieille dame, écrit par @Cassi0_Peia: Novella. (ou roman court/ou longue nouvelle. La longueur et l'unité d'action sont les critères de la nouvelle, mais il ne s'agit pas de ranger les livres dans des genres.) L'autrice propose aussi, dans "coup de pouce", d'analyser et de promouvoir des histoires peu lues sur Wattpad.

Il vous est conseillé de le lire pour comprendre mon analyse, et parce que le texte est bien écrit à mon sens, l'action progresse lentement, ce qui laisse le lecteur s'immerger dans la maison de Mme Chastain, avec l'œil de Vanessa. Formellement, je n'ai pas relevé d'erreurs, à part "quarantenaire" (qui signifie "lié à la quarantaine/isolement quand on est malade") au lieu de quadragénaire, l'expression figée "à tirer par les cheveux" et non "tirée par les cheveux " pour parler d'un scénario de feuilleton télévisé, et "chacun partit (enlever le t) construire leur (à remplacer par sa) vie", pour parler des enfants de Colette Chastain. Ces relevés effectués, prenons un peu de hauteur. 

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L'incipit/début est introduit par un proverbe malgache, humoristique, qui peut être pris métaphoriquement (comme souvent pour les proverbes) ou littéralement. Un proverbe est à  prendre en contexte, et l'un des trois personnages présents est un chat (je montrerai en quoi c'est un personnage à part entière). En effet, j'ai lu dans un livre sur "le proverbe africain", collectif, que tout proverbe (peu importe sa provenance) est à prendre en contexte : "la chèvre ne mord pas le chien", selon si l'on s'adresse à celui qui ne mord pas (la chèvre) ou à celui qui craint d'être mordu (le chien), entre autres, prendra un sens différent. Le proverbe est donc à faire dialoguer avec la nouvelle. 

Bien que j'ai commencé par le début, je ne compte pas réaliser une analyse linéaire. 

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Le choix du sujet et la focalisation interne 

A mon sens, le choix même de représentation, de focalisation (théorisée par Jost dans l'œil caméra, l'idée étant que la narration est une forme de caméraman - les fameux points de vue zéro, interne et externe appris au collège) est digne d'intérêt. Il s'agit, pour ceux qui n'auraient pas lu en dépit de mon sage conseil, d'une aide à domicile travaillant chez Mme Chastain, dans un appartement. Nous sommes dans l'espace domestique, mais ... du point de vue d'une domestique. La relation unissant Mme Chastain et Vanessa est donc une relation de travail, définie par un contrat, et par le biais d'une agence (la narration mentionne un employeur). Ce qui pose déjà problème. Je me réfère au livre de la jeune sociologue Alizée Delpierre, servir les riches. S'il est avant tout question de la très haute bourgeoisie (comme chez les Pinçon Charlot), Delpierre ouvre le livre sur la question du vieillissement de la population et de l'aide à domicile, qui se fait de plus en plus importante. 

A mon sens, inutile malgré tout de calquer la théorie sociologique, ce n'est pas la condition de Vanessa qui nous intéresse le plus (un peu tout de même), du moins au début. C'est surtout la relation qu'elle entretient avec la vieille dame. La maison de la vieille dame n'est pas conçue pour être un espace de travail, mais c'est de fait celui de Vanessa. Quant à la relation, elle est ingrate, car semble à sens unique : Mme Chastain est autoritaire, fait pleuvoir des reproches, appelle son aide à domicile par le mauvais prénom (alors qu'elle est censée la connaître et n'a pas de déficience cognitive). Vanessa se distingue ainsi par sa patience. C'est une aide à domicile excellente (je reviendrai sur la préparation du repas), en proie au doute, à la réflexion (sur la relation avec ses enfants). 

La vieille Colette Chastain est décrite de façon humaine et pathétique (= triste, qui éveille la pitié), et l'appartement est à l'image de son isolement (la ville est qualifiée d'"anonyme") et de sa fatigue (le coucou, horloge, est personnifié car l'autrice dit qu'il est "fatigué").Cela ne l'empêche pas d'être insupportable, "aigrie" comme dit le texte, certes parce que son mari lui manque. Sans aller jusqu'à ce personnage hyperbolique, qui "ne vous connait pas et vous déteste déjà" (dans la nouvelle, Mme Chastain semble juger sévèrement tout le monde, mais il y a un jeu de regard car l'aide à domicile la regarde également, pour émettre ce jugement (méta non ? ;) )... je parle bien sûr de Tatie Danielle, ce personnage de cinéma qui a donné son nom à un syndrome connu des infirmiers, à des fins de compréhension et de dialogue intergénérationnel. Ce qui m'évoque Tatie Danielle, c'est que la vieille dame est gaga de son chien, alors qu'elle est odieuse avec tout le monde, notamment ses aides à domicile. Ici, c'est Minou (qui a un nom évoquant sa condition féline, comme "le chat" de Lou! qui n'a pas de nom) qui remplit  ce rôle. Mais Minou n'est pas qu'un "récipient" (en sémantique, qui reçoit quelque chose), c'est aussi un observateur dont le lecteur se doute qu'il jouera un rôle. La vieille dame dit : "personne, à part Minou"... En linguistique, "personne" s'emploie pour des humains, rien pour des choses, et pour les animaux, il n'y a... rien. Le chat est donc classé dans les personnes, et c'est un personnage que l'on a du mal à décrypter, mais un personnage important tout de même. 

Le proverbe nous invite à nous méfier de lui...

L'évènement 

La mort, le décès d'une personne octogénaire (comme le rappelle la nouvelle, nous avons : une octogénaire, une quadragénaire, et un chat dont on ignore l'âge ;), ce qui est intéressant sur le plan de la communication et du dialogue, de l'incompréhension - ex. Les enfants sont ils tenus d'appeler leurs parents âgés ?) est "normal", quoique profondément triste. Sa cause est ici l'allergie aux arachides. Mais la façon dont l'évènement est raconté, lentement, à hauteur d'émotions de la témoin (focalisation interne sur Vanessa) mérite l'attention. La vieille dame (on sait qu'elle finira par mourir, certes pas forcément sous nos yeux) est allergique. Elle est insupportable et Vanessa, en préparant sa soupe, fantasme de glisser de l'arachide. C'est bien un fantasme, comme quand on dit "je vais le tuer !" : on y pense, on l'assume plus ou moins, mais peu de gens mettent la menace à exécution, et c'est heureux. Mais ce fantasme est un horizon d'attente. Le lecteur se dit : "ah, il va arriver quelque chose avec les arachides", et oui. 

Lorsque la vieille dame avale l'arachide, Vanessa appelle les secours, qui se comportent comme des secours (ils ne raccrochent pas). Soit dit en passant, seul un médecin est habileté à déclarer morte Colette Chastain, même si pour Vanessa la mort est presque certaine et qu'on a peu de doute. Mais le fait est qu'auparavant, Vanessa avait fantasmé. On peut donc supposer qu'elle se sentira coupable, car elle l'avait imaginé, et maintenant que cela arrive... C'est donc un développement psychologique. 

Et le chat ? Est il le meurtrier ? La nouvelle semble plutôt réaliste, voire très réaliste : le code de la porte (prosaïque) et en même temps l'annonce d'un évènement hors de l'ordinaire, des sujets sociaux réalistes comme le vieillissement de la population, l'isolement des personnes âgés, le travail d'aide à domicile... qui autorise une analyse sociologique. On n'est donc pas vraiment dans du fantastique. (du moins, pas pour l'instant). A vrai dire, j'y ai pensé à cause du proverbe et parce que le chat semble content, et surtout parce qu'il échappe à toute analyse. Certes, la présence du chat réconforte Mme Chastain, qui comble un manque, et l'image du vieux irascible mais gaga de son animal, on la connaît. Mais elle lui tire la queue et au fond, le chat est imperturbable. En fait, il est même voyeuriste : Vanessa est un témoin attentif, qui appelle les secours et protège, ou tente de protéger, sa patiente. le chat, lui, observe Vanessa téléphoner aux secours et... son humaine de compagnie décéder, et n'en a pas l'air ébranlé. Ce sont deux modes d'observations appelés par la lecture : l'un professionnel et empathique, l'autre intime et extrêmement dérangeant. 

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Voilà pourquoi, à mon sens, la scène est extrêmement bien racontée, tout en nuances : la dame est insupportable mais on la plaint (même si parfois on a juste envie de rendre son tablier); l'évènement est bien raconté aussi et peut se prédire sans non plus être lourdingue. On aurait pu s'attendre à une ébauche de réconciliation, à un peu de gentillesse de la part de la "Tatie-Danielle-En-Moins-Fort" : mais non, et c'est frustrant. (et ce n'est pas un reproche ! La vie est frustrante). 

Merci à @Cassi0_Peia pour ce moment de lecture, et ne t'inquiète pas : j'ai conscience que mes analyses font "prof de français" et je n'attends pas la même chose des tiennes ! :D Je ne veux pas que cela te rende mal à l'aise. 

Au débutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant