Impuissante - Séraphin en mission

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !) 

Cette fois, j'analyse un début percutant (c'est le cas de le dire) : prologue de Séraphin en mission  dont l'autrice est @DaneeshaKat. Le genre, j'aurais du mal à le définir, car le roman se situe à mi chemin entre la romance MxM, le surnaturel, l'enquête policière, avec une "empreinte" pour employer le mot de l'autrice dans la culture créole (Louisianaise) et une histoire d'alcoolisme, de rédemption, et de haine à dépasser... Bref, c'est un roman assez riche et je vous conseille d'en lire le prologue pour comprendre l'analyse que je vais en faire. (Si vous lisez le prochain paragraphe, il y aura du spoil, donc lisez le prologue avant !). 

Qualifiée de "sac à nœuds", l'histoire puise son inspiration dans "911 Lone Star", série qu'hélas je ne connais pas (les inspirations de l'autrice et éléments indicatifs se situent dans l'avant-propos). Dans le prologue qui nous intéresse, un évènement choc, à l'origine de l'histoire, a lieu. Il s'agit d'un accident de la route, perpétré par Eliakim, l'un des protagonistes, alcoolique, en voiture avec son épouse, Améthyste, une croyante. Le couple s'aime, mais Eliakim est rongé par son problème d'alcool, ce qui causera la mort de son épouse, et lui même n'en sortira pas indemne. 

Le ton des noms des paragraphes sonnera très sérieux, mais dans les chapitres suivants le ton sera humoristique, d'un cynisme désabusé, car le narrateur sera Séraphin, frère d'Améthyste. Ne craignez donc pas une atmosphère pesante le long du livre. En revanche, tant qu'Améthyste est narratrice, il se dégage du tragique, dans le sens aristotélicien du terme. 

Fatalité et tragédie

Déjà, d'un point de vue social, j'ai du mal avec le terme, je ne l'emploie donc pas à tort et à travers. Je m'explique : quand on me parle des accidents du travail (j'en parle dans la Lexicographe amoureuse, où je copie colle une conviction que j'ai !), je n'aime pas dire que c'est tragique, car la tragédie est inévitable, alors que ces accidents peuvent être combattus. De même, ici, le roman est (en partie) emprunt de social, puisqu'il évoque la condition des Noirs Américains, ainsi que l'alcoolisme. Voilà pourquoi je qualifie les choses de tragiques de manière circonspecte.  Pourtant, ici, plusieurs éléments concordent vers la tragédie. 

Le premier terme, "impuissante", montre que le personnage d'Améthyste ne peut plus rien faire. On se retrouve dans le huis clos de la voiture, où le mari Eliakim écrase la pédale de l'accélérateur, comme pour accélérer la mort. La femme est réduite à l' "observer", comme une spectatrice connaissant déjà l'issue fatale (mortelle, et connue d'avance). Au fond, dire de l'accident qu'il sera mortel, qu'elle risque "plus qu'un cœur en miettes" pour employer une litote (ici, elle ne dit pas risquer la mort, mais c'est ce qu'on comprend), n'est pas vraiment du spoil tant cette issue semble la seule possible. 

Pour Aristote, dans un ouvrage d'esthétique, la tragédie suscite la terreur et la pitié. La terreur d'Améthyste est visible, son corps entier "tremble de peur"... pour Eliakim. D'ailleurs, la vision d'horreur finale, la "scène d'effroi", montre le "mari ensanglanté", l'"amour de [sa] vie"... Comme si la terreur ressentie par Améthyste concernait avant tout Eliakim, elle s'efface derrière lui. La pitié est également présente, et Améthyste n'en veut pas à Eliakim, sa voix est suppliante, même s'il "fait quelque chose de mal" (dit maladroitement). Il faut dire qu'Améthyste est emprunte de religion et que dans le christianisme, la pitié envers les pécheurs s'impose.  D'autant qu'Eliakim se dit "tellement désolé", même dans son inconscience, il peut l'entendre, s'excuser et manifester son amour. 

J'ajoute qu'on ignore où se rend le couple, ce qui se rapporte à une autre notion tragique : la vanité. On ne sait pas où va ce couple en pleine nuit, cela ne nous intéresse pas : comme si leurs petites affaires de mortels ne comptaient pas. C'est tragique pas dans le sens d'inévitable dans l'absolu, mais d'inévitable à ce moment là : lorsque le livre commence, il est déjà trop tard. 

Une innocente, presque martyr, entraînée dans une chute 

La notion de martyr sonne très chrétienne, mais Améthyste l'est, et prie Dieu de toutes ses forces. L'accélération de la voiture, l'accident, et la chute finale, causeront sa mort. Les derniers instants d'Améthyste, un personnage très "pur" au nom de gemme, nous sont contés au présent, par elle même. Les yeux d'Eliakim sont des "abysses", et le sang de ses yeux annonce la scène sanglante qui suivra. La mort d'Améthyste nous semblera d'autant plus injuste qu'elle cherche, dans un dernier effort, à arranger les choses, qu'elle a l'espoir d'un sursaut de lucidité... Mais la "route sinueuse", le défilé des arbres, et pour finir, l'éviction du cycliste qu'Eliakim ne veut tuer auront raison du couple, et surtout d'Améthyste. 

La chute, si elle semble fatale, est aussi issue des ravages de l'alcoolisme. Métaphoriquement, la chute est assez significative. Même s'il tombe déjà de bas. C'est une chute physique, métaphysique même : d'ailleurs, on peut peut être parler d'une "expérience métaphysique" (sujet de philo tombé une année pour l'ENS, y  a t il des expériences métaphysiques ?). C'est aussi une chute sociale, causée par l'alcoolisme, et morale, ce qu'on entrevoit avec les mentions de la religion, et qui pourra avoir aussi des conséquences juridiques (et, bien que ce ne soit pas officiellement le cas, on sait que la justice, aux USA, est peu clémente envers les Noirs...). Sur le plan moral, on a la vision d'Eliakim comme une âme perdue, mais pouvant encore connaître la rédemption : vision emplie de chrétienté d'Améthyste. 

En revanche, et j'anticipe un peu (ce que d'habitude je m'interdis de faire) : Séraphin, à la fois médium et policier, n'aura pas la même indulgence. Ce sont deux conceptions du personnage qui s'affrontent : l'une dure et lucide, l'autre pleine d'espoir et peut être un peu naïve. 

Ce récit sera, entres autres, celui d'une rédemption, celle d'Eliakim, notamment grâce à l'extraordinaire (hors de l'ordinaire) indulgence d'Améthyste. 

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Je ne commente pas les covers, mais sur le tableau en liège de celle-ci, il y a un post-it appartenant à Séraphin : "objectif : sauver ce con de lui-même". Connaissant un peu Séraphin, ce ton lui convient, même si le fond m'évoque un peu la psychiatrie, et a quelque chose d'infantilisant. Néanmoins, on voit indirectement que l'esprit d'Améthyste transparaît sur lui, avec le verbe "sauver" (ex. d'emploi dans le christianisme : Jésus, Sauveur). 

Merci à @DaneeshaKat pour ce moment de lecture, et j'en profite pour dire que l'autrice organise des projets de relecture et de valorisation. 

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