Quinze ans avaient passé - Séparés

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(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !)

Cette analyse porte sur le premier chapitre de Séparés, écrit par Romantic Moon 21 (@Romantic_moon_21). Ce livre compte aussi un très bref prologue, dont l'annonce sonne un peu "littérature ancienne" : écoutez cette histoire tragique... Bien que le cadre soit futuriste. Le prologue étant vraiment bref, j'ai choisi d'analyser le premier chapitre.  C'est une novella (court roman), de "littérature générale" (je le classerais instinctivement là). 

De  l'autrice j'ai déjà analysé "la bataille des anges". Le procédé du prologue s'y retrouve, qui est d'annoncer comme un haut fait l'histoire qui nous sera racontée, sur un ton plutôt sérieux, même si le registre est épique dans la bataille des anges, alors que dans ce roman le ton est plus "quotidien" avec des personnages proches de nous : ils mangent de la pizza, par exemple (les soirées pizza sont très courantes sur Wattpad ! :) ). Je vous invite à le lire, ne serait ce que pour comprendre l'analyse. 

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"Il était vivant alors qu'il était mort, et ce fut un non sens. Il ne pouvait être vivant et mort. Il se sentait déchiré, amputé, torturé. Ce fut une amère et atroce torture." (Je, tu, il, "il ou répondre absent",  mon deuxième recueil de nouvelles. Ici, c'est un couple gay et "il" (le mort) et "il" (l'endeuillé) sont deux persos différents, mais j'ai justement joué avec le pronom pour traduire l'amputation qu'est le deuil de sa "moitié"). En littérature, la mort de l'être aimé, que ce soit un membre de la famille (Léopoldine et Hugo), d'un ami (Montaigne et La Boétie,  sa "moitié", dans ses Essais), ou... l'amant, est un thème très traité, il y a toute une tradition littéraire à ce sujet. Ce qui le rend difficile à traiter, à mon sens, mais aussi universel. 

Une exposition dans la douleur 

Le chapitre premier est assez simple dans ce qui est narré et dans la forme de la narration, et pose les enjeux : nous sommes en 2056, pour autant je ne crois pas qu'il s'agisse de SF, ce n'est qu'un chiffre.  D'ailleurs, ce n'est pas en 2056 qu'on aura repoussé la mort, apparemment : Angèle est morte d'une maladie incurable,  c'est un "petit ange parti trop tôt", et je le dis sans dérision. L'onomastique (les noms : Angèle = ange) est ici assez évidente. 

D'après ce chapitre, on lit un roman où les sentiments, et notamment le deuil, joue un rôle important.  Je me permets de suggérer le livre "ma tête est une valise", aussi en littérature "blanche", où la personne en deuil a perdu sa mère, le ton est très tendre et doux-amer,  comme ici. 

La douleur ne semble pas être passée, d'après la première phrase : le temps, ici quinze ans, est passée, et l'absence n'en est que renforcée. Elle se fait plus forte, le couteau est remué dans la plaie, à partir d'un élément, qui est à la fois objet matériel (le journal intime d'Angèle) et narration (celle, au je, du personnage décédé). Le geste de lecture d'un journal intime d'autrui, profondément intrusif, est à la fois un acte de courage et  de fatalité (on sait que ce sera douloureux, on le lit tout de même, et on en souffre). Une lectrice ou un lecteur s'en est dit dérangé, car lire les journaux intimes des autres, même décédés, c'est limite. 

La narration d'Angèle, son journal, est écrite de façon simple, brute, et répétitive, à l'image d'une souffrance devenue insupportable, mais qu'elle a choisi de cacher à Jules pour ne pas l'inquiéter. C'est son "premier et dernier mensonge", comme le comprend, mais trop tard, Jules. Le "trop tard" caractérise souvent la tragédie. Ici, on peut se dire que si Angèle avait dit la vérité, cela se serait mieux passé, mais on ose rarement demander de l'aide et surtout, le registre ici n'est pas moral, ni "épidictique" (= de l'éloge et du blâme. A vrai dire, en littérature médiévale, et c'était un peu le cas dans le classicisme, on inventait des personnages qui sont des "exemples à suivre", des modèles de vertu. C'est aujourd'hui passé de mode. Un exemple intéressant est la princesse de Clèves, vertueuse mais trop, "des exemples de vertu inimitables"). 

Un roman de "relations"

Ce qui fait de cette œuvre un roman psychologique, ce n'est pas tant les personnages en eux mêmes, ces êtres de pixels, mais les relations entre eux. Il est ainsi question d'amour et d'amitié. (Au passage, sans faire de ce chapitre une vitrine de mes œuvres, je me rends compte qu' "Après vous", mon roman le plus "ambitieux", se fonde sur les relations entre personnages.) Amour et amitié entre Jules et Angèle, car à un moment Angèle est qualifiée de "meilleure amie" de Jules. On sait qu'ils étaient amoureux, sans savoir s'ils étaient "officiellement" "en couple", s'ils "sortaient ensemble", car ce qui passe au premier plan, c'est leur sentiment. D'ailleurs, l'amitié peut être quelque chose de très fort, le mot médiéval "ma mie" peut venir de "m'amie", mon amie, ou de ma mie = ma moitié : amour ou amitié. 

Le réconfort à la fois indulgent et un peu "sévère" (dans le sens de retour au réel, de raisonnable) d'Antoine, et matériel aussi (soirée  pizza) nous montre concrètement l'amitié entre les deux personnages masculins.  Antoine sait que Jules est tenté de lire le journal intime d'Angèle, et le dialogue nous apprend qu'avant le début de la scène, Antoine n'approuvait pas, car il se disait que Jules se ferait du mal. Et, soit dit en passant, il n'a objectivement pas tort, même s'il est utile d'un point de vue de la "vérité" que Jules sache. "Faut il préférer le bonheur à la vérité" ? (bac de philo). Sauf que Jules, en deuil, est loin d'être heureux de toute façon.

Enfin, on n'a pas la relation entre Antoine et Angèle, on ignore s'ils se connaissaient, mais c'est un terreau fertile pour la suite de l'histoire. Sans tomber dans le triangle amoureux (ou peut être, après tout), on sait que ces relations peuvent être développées, ce qui permet l'interdépendance entre les facettes de la vie du personnage. On évite ainsi de juxtaposer l'amour, l'amitié, la famille... Mais on relie les évènements racontés. 

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C'est un chapitre un "efficace" d'un point de vue narratif, qui annonce à la fois l'histoire lente et pénible d'une maladie séparant deux amants (le terme est archaïque mais cette histoire me l'évoque), et une atmosphère tendre. 

Voilà, merci encore à Romantic Moon pour ce moment de lecture. 

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