Azurite - Tome 1&2

𝟏𝟎. 𝐈𝐬 𝐡𝐞 𝐦𝐲 𝐦𝐢𝐫𝐫𝐨𝐫 ?

Jane

N'ayant personne à aller voir, les jours de repos au camp sont souvent très calmes, Lewis est régulièrement en déplacement, Lison et Mike partent souvent rendre visite à leur famille.

La matinée a été assez calme, j'ai pris ces quelques heures pour nettoyer de fond en comble mes quartiers, l'esprit encore embué par la scène de cette nuit.

Non loin d'être mal à l'aise, je suis rongée par la confusion. Levi est abattu de tristesse, de colère et le seul moyen qu'il a trouvé pour extérioriser ce trop plein, c'est de frapper à en perdre haleine. Un exutoire que je ne connais que trop bien, mais qui frappe de moins en moins à ma porte avec les années qui filent. Ses yeux embués de douleur et son corps si tendu qu'on aurait pu penser qu'il allait exploser m'ont projeté des années en arrière.

J'ai eu l'impression d'avoir un miroir en face de moi pendant l'espace de quelques minutes. J'ai laissé mon esprit divaguer dans un labyrinthe de tracas malgré mon corps occupé, et je crains de prendre cette mission bien trop à coeur. C'est comme si une partie de moi résidait en lui, ou peut-être que notre histoire se ressemble trop. Aucune des personnes que j'ai pu rencontrer dans ma vie ne semblait avoir vécu une vie comme la mienne, et même si je semble bien mieux saisir la complexité de son comportement que n'importe qui, lui ne doit pas encore être en mesure de saisir le mien. Le temps viendra où il sera en mesure de le faire, et je prie pour qu'il devienne comme moi.

Mais son contrat à durée limitée compromet sérieusement ce souhait.

C'est déroutant, de rencontrer une personne si proche de vous de part son histoire, et même si j'exècre son attitude, je sais que je ne pourrais pas me comporter avec lui comme avec les autres. Il comprend des choses que les autres ne peuvent même pas imaginer.

Je pose le plumeau dans son placard après l'avoir secoué par la fenêtre pour enlever la poussière qui s'y était accumulée et m'étire après ces heures d'efforts. Mes quartiers brillent de mille feux, et il faut croire que j'ai su gérer mon timing puisqu'il est tout juste midi. Je jette un coup d'œil à mon visage dans le petit miroir de ma salle d'eau et constate que des particules de poussière ont eu l'audace de se déposer sur mes cils et dans mes cheveux réunis dans un chignon haut. Je savonne mes mains et asperge mon visage d'eau claire puis je lâche mes cheveux pour les secouer afin de retirer la poussière. Je récupère un élastique et commence à faire une tresse sur le côté pour ne pas être gênée pour le reste de la journée. En sortant, je ferme les fenêtres et pars rejoindre ceux encore présents pour le déjeuner.

Lors de journée comme celle-ci, il y a si peu de personnes que tout le monde peut s'asseoir à une seule et même table. Levi est déjà attablé avec quelques autres soldats et on dirait que je suis la seule haut gradée présente aujourd'hui. En rentrant dans le réfectoire, le peu de personnes présentes me salue brièvement avant de reprendre leur conversation, seul Levi me regarde fixement, jusqu'à ce que je m'assoie à l'unique place restante, en face de lui.

Son repas est bien bref, il a mangé tout ce qu'il y avait sur son plateau à une vitesse folle, il n'est resté attablé qu'un petit quart d'heure. J'ai déjà remarqué ses habitudes alimentaires, et je ne le blâme pas pour celles-ci, beaucoup ont les mêmes, Des habitudes assez primaires, dans les pires quartiers d'Alberta personne ne mange à sa faim et les bagarres pour de la nourriture sont plus que fréquentes.

Bien qu'il essaie de camoufler ce problème en prenant moins que les autres, j'ai très bien compris ce qu'il tente de faire. En prenant moins de quantité que les autres, il pense que personne ne remarque à quel point il mange comme si c'était la première fois depuis des semaines. Personne ne le remarque, car il est tellement silencieux qu'aucun des autres soldats ne le regarde.