𝟐𝟗. 𝐃𝐨 𝐲𝐨𝐮 𝐫𝐞𝐚𝐥𝐥𝐲 𝐡𝐚𝐯𝐞 𝐭𝐨 𝐠𝐨 ?

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Camp militaire de Red Deer, février 2007, Alberta


Jane


Il est là. L'acte de fin de contrat de Scarrow. C'est écrit noir sur blanc.

« Après avoir honoré son contrat et apporté ses services au sein de l'Organisation Militaire Secrète du Canada pendant une durée de douze mois, nous vous remettons ce document qui confirme cette fin de mission pour vous et la libération totale de Monsieur Levi Scarrow. Ce dernier devra activement chercher un emploi, le garder et ne commettre aucune infraction durant les six prochains mois, sous peine de purger une nouvelle peine. »

J'ai ouvert l'enveloppe il y a trois jours, ce document traîne sur mon bureau depuis l'ouverture, et je n'ai pas le courage de le signer. C'est injuste. C'est injuste de ma part de retarder ce moment. Levi a honoré son contrat, et avec beaucoup de conviction sur les huit derniers mois. Et je me suis un peu trop prise au jeu. Il m'a rendu la vie impossible les quelques premiers mois, mais après... J'ai aimé ce renouveau dans ma carrière, j'ai aimé ce changement, j'ai aimé cette mission. J'ai appris de nouvelles choses, il m'a appris de nouvelles choses.

Ce que j'ai avec Levi, je ne l'aurais jamais avec personne d'autre. C'est quelque chose qui vous frappe et ne vous lâche plus. Un mélange de compassion, d'affection, de compréhension. Un cocktail vous empêchant de passer à autre chose. Parce que c'est rare. C'est rare de construire ce genre de relation et de savoir qu'il faut l'abandonner. Et je sais que cette relation ne se réfère à aucune autre. C'est différent avec lui. Sans artifice, juste nous deux et nos cicatrices mal pansées.

Nos entraînements nocturnes n'avaient rien à voir avec ceux du jour, ceux en groupe. La hiérarchie est relayée au second plan.

La nuit, je ne suis plus « capitaine Winters », je suis simplement Jane.

Et ça me faisait un bien fou de ne plus avoir autant de responsabilités sur les épaules. Même l'espace de quelques heures. Ça me faisait du bien d'être avec quelqu'un qui me ressemble autant. Il semblait lire dans mes yeux tout ce dont il avait besoin. Il semblait me comprendre mieux que quiconque. Parce que personne ne peut comprendre votre douleur à moins de l'avoir vécu. Il sait ce que c'est de se perdre dans la colère et de ne plus savoir comment sortir la tête de l'eau.

Le temps passe vite, trop vite. Avant je le trouvais lent, affreusement lent. J'espérais qu'il passe à la vitesse de la lumière et qu'il puisse écourter mon supplice. Et maintenant, j'aimerais qu'il se fige. Je savais qu'il partirait, mais je ne savais pas que ce serait si rapide, si dur. Lire ces mots me font l'effet d'une balle en plein cœur.

Je repousse ce moment depuis des jours, et j'ai le sentiment de trahir sa confiance. Je garde cette information pour moi par pur égoïsme. Parce qu'au fond de moi, je n'ai pas envie qu'il parte. Alors je l'ai demandé dans mon bureau après le souper. Je force mon corps à se tenir droit comme un piquet, les mains fixées derrière le dos pour ne pas arracher la peau autour de mes ongles. J'angoisse, plus qu'une veille de mission.

La porte s'ouvre après que deux coups aient été frappés contre le bois.

— Capitaine, prononce-t-il en faisant le salut militaire.

Je n'ai même pas envie d'entrer dans les formalités habituelles. Pas de « repos soldat », juste ma mâchoire qui se contracte et mes doigts qui saisissent le fameux document. À l'instant même où ma main attrape ce papier, il a compris. Je pourrais me taire et ne rien expliquer, cela ne changerait rien. Il sait quel mois nous sommes, il doit attendre ce jour depuis des semaines.

Azurite - Tome 1&2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant