𝟔. 𝐘𝐨𝐮 𝐟𝐢𝐧𝐚𝐥𝐥𝐲 𝐮𝐧𝐝𝐞𝐫𝐬𝐭𝐚𝐧𝐝

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Camp militaire Red Deer, fin février, 2006.


Jane



— L'entraînement du jour ne va pas vous faire plaisir, je crie à destination de mon escouade.

Les mains dans le dos, je fais des allers-retours devant eux, tous droit comme des piquets. Même Scarrow.

Un torrent de pluie s'abat sur nous, le ciel est couvert de nuages prêts à déverser leurs foudres sur nous.

— Vous voyez où nous sommes. Juste à côté du parcours en bois, et si vous observer le sol, je suis sûre de vous faire sourire jusqu'aux oreilles, j'explique sarcastiquement.

Ma voix perce l'air, transperce le vent et le bruit des gouttes s'abattant sur le sol pour atteindre mes soldats. Leur tête pivote dans la même direction que la mienne pour constater ce qu'ils savent déjà. C'est le rituel, certains des jours les plus pluvieux, ils se heurtent à la boue et au froid glacials.

— Vous connaissez les règles, mais je les réexplique pour le nouveau.

Qui fait la gueule.

— Vous avez une minute pour reprendre connaissance du parcours, puis vous le ferez trois fois de suite deux par deux. Celui qui aura le temps additionnel le plus court sera exempté de corvées pour le mois prochain.

— Oui Capitaine ! hurle-t-ils en chœur.

— Maintenant que vous êtes bien trempés, vous allez vous échauffer ! Les pneus et les lanières sont derrière vous, trois tours de chalet, hop ! je claque dans mes mains et trottine vers les pneus, suivie par mon escouade.

Les pneus de camion sont enroulés par une corde elle-même attachée à une lanière que nous passons en bandoulière pour tirer.

— Du nerf les gars !

Mes pieds s'ancrent dans le sol boueux, mes épaules se balancent au rythme de mes pas pour me donner une impulsion supplémentaire et mon regard est fixe. En tête de piste, je suis talonnée de près par Noa et Ryo. Ce sont les plus grands de ce groupe et cela fait des années qu'ils pratiquent cet exercice. C'est dur à cause des conditions, mais le simple fait de tirer un pneu est un jeu d'enfant pour eux. Pour les plus petits, ou les plus faibles d'entre eux, ils sont en train de tirer leur propre poids. Ally est celle qui a le plus de mal, si on oublie Scarrow. Elle est encore jeune et n'a pas la même masse musculaire que Noa ou Ryo, ou même Lou, qui se dépasse et s'améliore chaque fois.

Scarrow perd du terrain, il s'éloigne de plus en plus du groupe et je vais bientôt avoir un tour d'avance sur lui.

Le sol trempe mon pantalon de boue, mais je pousse davantage sur mes talons pour me propulser, je courbe légèrement le dos et empoigne la lanière pour ajouter la force de mes bras. S'ils font cet exercice depuis quelques années, je le fais depuis une décennie. Je connais chaque recoins du sol à éviter pour ne pas marcher dans un trou et être déstabilisée, je sais comment positionner mon corps pour me donner de l'élan, comment placer mes pieds et quels muscles je dois solliciter pour avancer le plus vite possible, je sais comment respirer pour m'économiser, je sais à quoi je dois penser pour me motiver.

Scarrow n'est plus qu'à quelques mètres devant moi, il peine à avancer à un rythme régulier et sa posture est très mauvaise. Il est courbé, la tête vers le bas et ses jambes sont trop collées.

— Hé ! Arrêtez-vous. Vous faites n'importe quoi, je crie par-dessus la pluie.

— Ça pèse une tonne ce truc !

Azurite - Tome 1&2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant