𝟑𝟎. 𝐑𝐞𝐭𝐮𝐫𝐧 𝐭𝐨 𝐬𝐪𝐮𝐚𝐫𝐞 𝐨𝐧𝐞

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Camp militaire de Red Deer, mars 2007, Alberta.


Jane


Levi Scarrow est parti le vendredi treize février deux mille sept. Un an et trois jours après la signature de son contrat. Un an et trois jours après son arrivée à Red Deer.

Il m'a regardé droit dans les yeux, je lui ai soufflé de rester, il a baissé le regard. Il a juste dit « au revoir, capitaine ».

J'ai pleuré les premiers jours. Je me suis sentie vide les premières semaines. J'ai appris à vivre avec son absence les premiers mois. Je n'étais pas amoureuse, je ne le considérais pas comme un ami, mais il était là, il savait ce que mon esprit pouvait me faire endurer, je me suis sentie utile. J'ai aidé une personne comme moi à sortir de la noirceur, même si ce n'est qu'un peu. Il m'a sorti de la mienne sans même le savoir, et c'était suffisant.

Nous ne parlions jamais vraiment. Que ce soit de Léo, de ce qu'il ressentait, de ce dont nous avions été victime à Lethbridge, mais cela nous convenait. Nous n'en avions pas forcément besoin, et Levi n'en était pas encore en capacité. Cela m'a pris des années avant de parler de tout ce que j'avais vécu, et même si nous avons fini par nous faire confiance, c'était encore trop récent pour lui.

Il sait ce que j'ai enduré là-bas, parce qu'il l'a aussi vécu, alors en parler n'aurait servi qu'à faire pleurer nos cœurs meurtris.

Il avait besoin de quelqu'un qui le comprenne et ne le juge pas. Il avait besoin de déverser toute la colère et la tristesse qui rongeait petit à petit son âme.

Je ne sais pas pourquoi je me suis imaginée qu'il finirait par rester. Je ne sais pas pourquoi je me suis imaginée qu'il me choisirait à la place de sa liberté. Peut-être parce que je n'ai pas eu le choix, et qu'égoïstement, j'aurais aimé que ce soit pareil pour lui. Parce que personne ne m'a jamais autant ressemblée. Parce que lui a eu le choix que je n'ai jamais eu.

Je lui en veux d'avoir choisi sa liberté alors que nous nous entendions si bien, parce que moi, je l'aurais choisi lui.

Son comportement ces derniers mois n'avait rien à voir avec ses débuts ici. On me l'avait décrit comme un criminel froid, n'ayant pas peur d'appuyer sur la détente et bravant les interdits. S'il jouait les rebelles les premiers mois, j'ai rapidement vu qui il était vraiment. C'est un homme doux et honnête, parfois maladroit, mais jamais méchant. Il repousse le plus possible la violence, alors que moi, je m'en nourris. C'est peut-être ça aussi qui l'a fait fuir.

Je ne me fis pas aux rumeurs, bien que j'aime échanger sur les quelques rares ragots au sein du camp avec Lison, mon libre arbitre m'empêche de me fier à ce que j'entends. Je dois le voir pour y croire. Et je n'ai pas cru à cette version de lui qu'on m'a vendue. Lorsque j'ai appris où Levi avait grandi, je me suis faite une panoplie de film, imaginant à quoi il pourrait ressembler, s'il se comporterait comme moi je l'ai fait, si nous allions bien nous entendre. Je ne pouvais pas concevoir le fait que l'un des miens, une personne qui a vu les mêmes choses que moi, qui a subi les mêmes sévices, ne ressente pas la compassion que j'éprouvais pour lui avant même de l'avoir rencontré. J'étais tiraillée entre l'obligation de le haïr pour sa nature masculine et l'incapacité tordante de détester une personne dont je ne connaissais qu'un bout de l'histoire.

Ce n'était pas un rôle qu'il jouait, c'était une carapace. Peut-être nous exécrait-il au début, mais la haine n'a jamais été le sentiment qui animait notre relation.

Je m'en veux de ne pas avoir engagé la conversation. Je suis certaine qu'il aurait pu se confier, alléger sa conscience, ou peut-être que je m'en persuade. Peut-être que je ne l'ai pas vu comme lui m'a vu, peut-être que j'en fais des caisses, mais j'ai l'impression qu'il y avait quelque chose.

J'ai l'impression d'avoir touché son âme du bout des doigts, avant qu'il ne les brise et qu'il parte en courant.

Il est parti avec son sac à dos sur l'épaule, dans un taxi payé à nos frais, pour une destination que j'ignore. Je suppose que c'est ainsi que nos chemins se séparent, que notre relation s'arrête, et que je dois faire comme si cela n'avait jamais existé. Je n'aurais jamais imaginé que ce serait ça, le plus dur dans ce contrat. Il est parti en balayant d'un revers de la main un an de notre vie. Je réitère, je n'étais pas amoureuse, mais c'était si spécial d'avoir à mes côtés une personne qui comprenait enfin l'horreur qu'a été mon enfance. C'est ça qui a refermé complètement les plaies. Puis il vient d'en créer une autre et y a jeté de l'alcool dessus.

Lorsque je suis retournée dans mon bureau, quelques minutes après son départ, j'ai eu le droit à une surprise. Je ne sais pas si elle a atténué quoi que ce soit ou si au contraire, elle n'a fait que me blesser davantage, mais il était là. Levi a laissé son tableau, celui que nous avons fait dans la neige un mois plus tôt. Il était accompagné d'un post-it, volé sur mon bureau, sur lequel était inscrit « je suis désolé ».

Ces simples mots n'ont fait que lancer cette armée de sanglots qui ne m'a pas lâché pendant des semaines. Je ne comprends sincèrement pas ce qui a animé une si grande tristesse, je me doutais que son départ serait dur à encaisser, pas à un point aussi grand. Je me sentais honteuse de ressentir une peine si intense, j'ai tout fait pour cacher mes pleurs et ma colère pendant des semaines. Puis ça s'est apaisé, j'ai intégré le fait que je ne pouvais rien y faire. L'impossibilité de le contacter m'a aidé, je savais qu'il n'y avait plus rien à faire. Il a choisi de partir, et je n'ai pas le droit d'interférer dans cette décision.

Ce geste qu'il a eu à mon égard, celui de prendre le temps de m'écrire ces quelques mots, de laisser une trace de son passage, comme pour être sûr que je ne l'oublierai pas, suffit à me convaincre que je ne suis pas folle, que je n'ai rien imaginé ou inventé. Tout cela était bien réel, il l'a vécu comme moi, et c'était suffisamment important pour qu'il veuille s'excuser, pour qu'il veuille que je me souvienne de lui. Cela n'a malheureusement pas suffit à apaiser mon chagrin, et désormais, il ne reste plus que moi, mes souvenirs et les ruines d'une relation inachevée, me laissant encore aujourd'hui un goût amer dans la gorge.


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Coucou mes stars !

Le voilà, le dernier chapitre de ce tome 1... J'espère qu'il vous a plu, j'espère qu'il a été à la hauteur. 

Je ne vous dis pas au revoir, et je ne ferai pas de grand discours comme j'en fais parfois sur ig, parce que ce n'est pas fini, on se retrouve dans quelques mois pour le tome 2 ! 

Merci à vous de me suivre dans cette aventure, elle ne fait que commencer. 

Avec amour, Laly <3 

Azurite - Tome 1&2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant