𝟏𝟗. 𝐏𝐚𝐭𝐢𝐞𝐧𝐜𝐞, 𝐏𝐞𝐫𝐬𝐞𝐯𝐞𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞, 𝐀𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧

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Camp militaire de Red Deer, le surlendemain, Alberta


Levi


Le soleil pénètre dans ma petite chambre, mais je suis éveillé depuis un moment déjà. J'observe avec une fausse attention cette pièce et ce qu'elle contient pour passer le temps, comme si je ne la connaissais pas par cœur. Mon corps repose sur ce matelas simple, couvert par une couette blanche. Je me concentre sur les lignes des planches en bois qui composent ma chambre et l'entièreté de ce chalet, tantôt les comptant de bas en haut, tantôt en les traçant du regard d'un bout à l'autre.

C'est stupide. Je me trouve stupide. Je suis obligé de compter des foutus bouts de bois pour empêcher mes pensées de m'engloutir. Pour ne pas voir son visage et son corps sans vie. Pour ne pas me retrouver dans l'horreur de cette maison aux murs moisis. Tout me ramène inévitablement dans cette ville. Je n'en étais jamais sorti, je n'avais jamais rien vu d'autre.

Jusqu'à la voir dans cette salle de visite en prison.

Je ne sais pas, mais j'ai compris que ce serait différent maintenant.

Le réveil sur la petite table de chevet à ma gauche affiche six-heures-vingt, et je ne sais depuis combien de temps mon corps n'a pas trouvé un vrai repos. C'est infernal, de fermer les yeux et d'être incapable de ne voir que l'obscurité. Je vois leur visage, je vois le sang, j'entends les cris et les pleurs. J'aimerais que ça s'arrête, mais je n'ai aucune porte de sortie, aucune issue. C'est inutile que je reste ici, à broyer du noir. Cette culpabilité me ronge de l'intérieur, j'ai l'impression de la sentir dévorer mes organes centimètre par centimètre.

J'ignore l'heure à laquelle Winters me veut dans la salle d'entraînement, mais si je reste ici plus longtemps, la folie risque de m'atteindre sérieusement. Est-ce qu'elle aussi est comme ça ? Incapable d'être inactive sans que son esprit ne la ramène là-bas ? Je l'espère malgré moi, cela voudrait dire que je ne suis pas fou, ou que je ne suis pas le seul à l'être.

Parmi toutes les personnes que j'aurais pu rencontrer, celle qui semble être la seule dont la vie se rapproche dangereusement de la mienne n'est autre que ma capitaine. Je ne sais pas si j'en suis satisfait, en fait, je ne suis plus sûr de rien.

Je dois faire un effort monstre pour redresser mon buste, laissant retomber la couverture sur mes cuisses et sortir du lit. J'ouvre entièrement les rideaux, que je laisse volontairement entrouverts chaque nuit et laisse le soleil pénétrer complètement dans la pièce. Je ne suis pas encore habitué à cette lumière. À Lethbridge, il faisait toujours moche, toujours gris, le ciel aspirant chaque trace de vie.

J'ouvre la petite armoire à gauche de mon lit, et malgré qu'elle soit presque vide et que nous portons presque toujours la même tenue, j'hésite. J'attrape finalement un bas de treillis et un tee-shirt noir, puis ferme la porte. Je doute que les autres soient réveillés, certains profitent de ces quelques jours pour sortir ou voir leur famille. J'ai entendu des voix dans les couloirs vers cinq-heures, la nuit de mes camarades à dû être plus amusante que la mienne. J'abaisse la poignée et tire la porte vers moi, le couloir est silencieux, à peine éclairé. Je descends le grand escalier pour entrer dans les douches communes, l'angoisse diminue lorsque je me rends compte que je suis seul. Je suis parfaitement incapable de me doucher en présence de quelqu'un d'autre, même si chaque espace est séparé d'un mur fin

L'idée même de la nudité me dégoûte.

Chaque douche dure à peine quelques minutes, ce n'est jamais un moment de plaisir, et ça ne le sera jamais. Je me nettoie, rien de plus.

Azurite - Tome 1&2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant