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Mars 2008, Robb, Alberta


Levi



— Ouvrez ! Je sais que vous êtes là !

Où veux-tu que je sois ?

— Vous me devez deux mois de loyer !

Si je paie pas, c'est que je peux pas, imbécile. Je vais me retrouver à la rue, encore. Sauf que cette fois-ci, Léo ne sera pas là pour m'aider à trouver une solution. Je n'ai pas mangé depuis deux jours. L'épicerie dans laquelle je travaillais depuis un an a fermé, et j'ai beau chercher, je n'arrive pas à trouver autre part. Même l'usine de conserve à vingt minutes d'ici ne m'a pas pris. Ça m'enrage, mais qu'est-ce que je pourrais y faire ? J'ai été jusqu'à faire deux heures de bus aller-retour pour déposer des CV et des lettres de motivation.

L'argent, payer le loyer de mon studio de 10m2, manger, survivre quoi.

Putain, tout était si bien parti. Cet appartement est tout petit, mais ça me convenait très bien, le job que j'avais aussi. Je devais être en contact avec des humains toute la journée, et certains sont parfois exécrables, mais on avait nos petits habitués.

Je pense à ma voisine, madame Joyce. C'est une vieille dame qui venait trois fois par semaine dans notre épicerie. Maintenant, elle va devoir faire une demi-heure de bus pour faire ses courses au lieu de cinq minutes de marche.

Mon propriétaire tambourine toujours à la porte, je repousse ce moment depuis des semaines. Affronte tes responsabilités Levi, ça te fera pas mal.

Je me redresse de mon canapé-lit et prends une grande inspiration, comme s'il allait partir grâce à elle. Je balaie la pièce du regard, il y a la minuscule cuisine au bout, sous l'unique fenêtre, mon lit derrière moi, quelques livres achetés à deux dollars dans une brocante pour passer le temps, la salle d'eau — si on peut appeler ça ainsi — dans un espace attenant. Je vais me faire expulser et je sais que je ne retrouverai rien. Pas de travail, pas de logement.

J'ouvre la porte, le regard noir.

— Ah, enfin ! s'exclame-t-il comme si mes pauvres trois-cents dollars lui étaient indispensables pour vivre.

— Je n'ai pas votre argent, dis-je simplement.

— J'ai été très patient avec vous monsieur Scarrow, mais ce n'est plus possible.

— Ne vous fatiguez pas, j'ai compris.

— J'espère bien ! Faites vos affaires, cet appartement n'est plus le vôtre.

Je serre les dents, aussi fort que je le peux. Ma langue frotte mes incisives, comme si ça allait m'aider à encaisser la nouvelle. Je lui tourne le dos alors qu'il refuse de partir et m'affaire à prendre ce que je peux. Dans un grand sac de sport, j'entasse mes quelques vêtements, mes livres, le gel douche et le shampoing presque vides, ma brosse à dents et mon dentifrice que j'emballe dans du papier toilette pour qu'ils ne soient pas en contact avec mes autres affaires. Il ne me reste que deux rouleaux, mais je ferai avec. Je les cale dans une poche intérieure puis enfonce une serviette de bain. Qui sait ?

Mon propriétaire attend toujours sur le seuil de l'entrée, son lourd regard sur chacun de mes faits et gestes. C'est tellement humiliant.

J'ouvre le frigo, presque vide, mais je prends tout ce que je peux. Quelques légumes, un reste de fromage, des bouteilles d'eau. Il me reste aussi quelques pommes et bananes, mais il est inutile que je prenne le sachet de pâtes qui gît au fond du placard. Emballés dans un sachet en plastique, je fourre mes prochains repas dans mon sac. Il pèse une tonne sur mes épaules, mais il faut dire ce qui est, ma vie rentre dans ce sac. Je relève le regard vers mon proprio qui s'impatiente avant de balayer la pièce des yeux. Je crois n'avoir rien oublié.

Azurite - Tome 1&2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant