Azurite - Tome 1&2

𝟏𝟑. 𝐥𝐞𝐭 𝐦𝐞 𝐠𝐨

Camp militaire de Red Deer, mars 2006, Alberta.

Jane

Mes yeux piquent de fatigue, mais l'alarme incessante de mon réveil me contraint à sortir du lit. Je ne suis revenue dans mes quartiers qu'à quatre heures trente cette nuit, après avoir fait disparaître le corps de cet enfoiré. Je déteste me réveiller après une contrariété comme celle-ci, ça la rend trop réelle. Je ne regrette pas, je ne culpabilise pas, c'est le fait de voir que cela ne me procure pas grand-chose. La mort et la violence font partie intégrante de moi maintenant, et je ne pourrais jamais m'en détacher.

J'espère que cette journée apaisera mon cœur. Les températures se réchauffent et la bonne humeur qui règne dans la cuisine me fait déjà oublier la journée d'hier. À la hâte, chacun prépare son casse-croûte pour le déjeuner au bord du lac. Depuis que je suis à la tête de cette escouade, je tente régulièrement d'organiser des sorties hors du camp. C'est simple, mais ça nous permet de retirer cet uniforme le temps d'une journée. On aime notre travail, et tout le monde ne pourrait pas prendre notre place, mais il est extrêmement éprouvant, et si nous ne prenons pas l'initiative de relâcher la pression quelques jours de temps en temps, nous finirons par craquer.

Nos sandwichs emballés dans du film plastique et des gourdes remplies d'eau en main, nous partons seller nos chevaux respectifs. J'installe les sacoches sur la selle d'Apache et les remplis de mon repas quand Scarrow entre dans le box de Misty, à gauche du mien. Ses iris bleus rencontrent alors les miens, chaque fois que je regarde au fond de ses yeux, j'ai le sentiment de plonger au cœur de son âme et de m'y perdre. Je pourrais lire en lui comme dans un livre ouvert.

Il fuit mon regard. Il baisse les yeux à peine une seconde après les avoir posés dans les miens.

— Allez viens Apache on y va, je souffle à mon cheval en sortant de son box.

Il pose à nouveau ses yeux sur moi, cette fois-ci pour me juger.

— Vous avez un problème ? je lui demande d'un ton presque arrogant.

— Vous parlez à votre cheval comme s'il allait vous répondre.

— Les animaux ont leur propre langage, les chevaux sont d'ailleurs particulièrement expressifs, je lui réponds simplement.

— Si vous le dites.

Il jette alors un regard inquisiteur sur sa jument, comme s'il prenait le temps de réfléchir à ce que je venais de lui dire.

Lorsque tout le monde est prêt, nous nous mettons en route, nous ne sommes qu'à vingt minutes à cheval du lac. Ryo et Ally se moquent des blagues stupides que Nohri fait à Hélio. Tout le monde semble avoir compris que ce dernier avait un faible pour le grand brun. Sauf lui apparemment. Cela me fait chaud au cœur. Ils ont tous tissé des liens très forts les uns avec les autres, comme une vraie famille.

Je jette furtivement des regards à Scarrow, je n'ai toujours pas une totale confiance en lui et je reste encore sur mes gardes quant aux bêtises qui pourraient lui passer par la tête. Mais également, je dois malheureusement l'avouer, parce que je culpabilise de ne pas l'avoir fichu à la porte plus tôt cette nuit. Personne n'assiste jamais aux quelques séances de torture qu'on me demande parfois de mener, même pas Lewis. Et encore moins parce qu'il n'est pas encore au courant pour celle-ci. Je ne crains pas qu'il en parle aux autres, je crains que ça le hante comme ça a pu me hanter.