À coeur ouvert

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AILEE

Le crépitement du feu dans l’âtre ne parvenait plus à réchauffer la froideur qui s’était installée en moi. Les flammes dansaient, indifférentes à ma détresse, et je les regardais se tordre avec une fascination morne, comme si je pouvais y lire la fin de mes tourments. Je me laissai glisser sur le sol, le dos appuyé contre la pierre glacée de la cheminée, tandis que mon esprit tentait vainement de repousser les souvenirs de la veille.

La date de mon mariage avec Evan. Ces mots, prononcés avec enthousiasme par la cour, résonnaient encore dans mes oreilles. Tout était déjà prévu, calculé, écrit. Un bonheur factice que je devrais jouer, un rôle que je ne désirais pas endosser. Ma gorge se serra à cette pensée, et des larmes silencieuses roulèrent sur mes joues, traçant des sillons brûlants que je ne pris même plus la peine d’essuyer.

Je ne mangeais plus. Mon corps devenait une prison que je ne reconnaissais plus, et je ne me souciais pas de le nourrir ou de le soigner. J’existais à peine, réduite à un être flottant entre cauchemars et réveils douloureux. Les nuits s’étiraient en heures infinies, et chaque aube m’apportait la même fatigue accablante.

Je m’étais remise à écrire. Des pages entières noircies de mots confus, des pensées que je ne pouvais confier qu’à ce papier. « Si seulement tu savais, Kenna, pensais-je, combien tu me sauves et me détruis à la fois. » Mais Kenna ne savait pas, et peut-être ne devait-elle jamais le savoir.

Liora entra dans ma chambre, interrompant ma torpeur avec une douceur bienveillante. Elle déposa un plateau sur une petite table, puis s’avança vers moi avec une hésitation qu’elle ne me montrait jamais d’ordinaire.

— Princesse, murmura-t-elle, vous ne pouvez pas continuer ainsi.

Je levai les yeux vers elle, mais je me sentais trop lasse pour réagir. Sa silhouette semblait floue, comme si même ma vue s’obscurcissait sous le poids de mon épuisement. Je tentai un sourire, mais il s’évanouit avant de naître.

— Je vais bien, Liora, dis-je d’une voix qui ne me ressemblait plus.

Elle s’agenouilla à mes côtés, un pli de souci marquant son front.

— Non, vous n’allez pas bien. Tout le monde le voit. Vous êtes en train de vous détruire, Ailee. Pour lui… ou pour elle ...

Son regard perça mes défenses, et je sentis mes mains trembler. L’entendre évoquer Kenna, même sans prononcer son nom, raviva cette douleur sourde qui ne m’avait pas quittée. Je baissai les yeux, incapable de lui répondre, mais Liora saisit mes mains, les serrant doucement entre les siennes.

— Je vous ai vue, ajouta-t-elle, sa voix empreinte de compassion. Je sais combien cela vous coûte.

Je fermai les yeux, et une larme solitaire s’échappa de mes cils, tombant sur nos mains jointes.

— Et que puis-je faire ? murmurai-je enfin, ma voix brisée. Je n’ai pas le choix.

Liora secoua doucement la tête.

— Mais vous avez le droit de vivre, de respirer. Ne laissez pas votre amour devenir votre tombeau.

Je me redressai, sentant mon cœur se briser un peu plus à ces mots. Peut-être avait-elle raison. Mais comment vivre quand chaque jour me rappelait que le bonheur m’était interdit ?

Je quittai ma chambre avec un poids toujours lourd sur le cœur, mais l’idée d’un moment de paix loin des regards suffocants de la cour me poussa à avancer. Les thermes du château, vaste sanctuaire de pierre et de vapeur, me semblaient être le seul endroit où je pouvais respirer, où les doutes et les obligations me paraissaient presque irréels.

𝑳𝒆𝒔 𝑶𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝑫𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant