Kenna
Le château semblait plongé dans une étrange tranquillité ce matin-là, mais je savais qu’il ne s’agissait que d’un calme trompeur. Sous les murs de pierre, l’obscurité d’une douleur silencieuse continuait de hanter Ailee, lui volant son sourire et son éclat. Cette nuit encore, elle avait lutté contre des cauchemars, et malgré toute ma présence à ses côtés, je me sentais impuissante.
Le visage d’Evan, alors qu’il écoutait le récit de ce qu’elle avait vécu, me revenait en mémoire. Ses larmes, ses poings serrés, la culpabilité qui se lisait dans ses yeux m’avaient bouleversée. « Kenna, » avait-il murmuré, la voix tremblante, « je l’aurais protégée… j’aurais dû être là. » Mais aucun de nous ne pouvait effacer ce qui s’était passé, alors il m’avait conseillé, d’un ton calme, de trouver un moyen pour qu’elle se réapproprie sa vie. « Emmène-la là où elle se sentira en paix. Aide-la à retrouver la force d’être elle-même. »
J’avais alors pensé au sanctuaire d’Ailee, son jardin secret près de la rivière. Je savais combien cet endroit comptait pour elle, combien elle chérissait chaque coin de cette nature luxuriante, où le murmure de l’eau et l’ombre des arbres offraient une protection contre le monde extérieur. Il était comme une part de son âme, une terre où elle déposait ses rêves et ses chagrins. J’espérais qu’il lui apporterait un semblant de réconfort.
Evan avait pris soin de préparer les chevaux discrètement. Il nous attendait à l’écart des écuries, en un lieu où Ailee n’aurait pas à affronter les regards des autres. Lorsque je la rejoignis, son visage était voilé par une tristesse sourde, mais elle se tenait droite, avec une dignité touchante. Son regard, éteint, croisait à peine le mien.
« Prête ? » lui murmurai-je, tendant une main hésitante. Ses doigts effleurèrent les miens avec une infinie délicatesse, comme si elle avait peur de briser quelque chose. Un léger frémissement la parcourut, mais elle hocha la tête.
Nous nous mîmes en route, avançant en silence au rythme des sabots de nos chevaux qui résonnaient doucement sur le sol de la forêt. Les rayons du soleil perçaient les feuillages épais, dessinant des ombres mouvantes autour de nous. Les arbres, majestueux et immuables, semblaient nous observer, offrant leur silence bienveillant en soutien à notre peine. Peu à peu, les champs s’ouvrirent devant nous, parsemés de fleurs sauvages qui se dressaient fièrement dans la lumière du matin.
Arrivées près de la rivière, nous descendîmes de cheval. Ailee resta immobile un instant, son regard parcourant les alentours avec une lueur d’émotion. Le sanctuaire s’étendait devant nous, avec son tapis de fleurs éparpillées, ses arbres séculaires, et la rivière serpentant doucement entre les pierres. Le bruit de l’eau, paisible et rassurant, s’élevait comme une mélodie ancienne, un chant qui murmurait à l’âme.
« C’est ici, » lui dis-je doucement, mon regard posé sur elle. « Ton sanctuaire. L’endroit où tu viens te ressourcer, où tu peux être toi-même. »
Elle hocha la tête, les lèvres tremblantes. Je vis dans ses yeux une lueur fragile, comme un éclat d’espoir hésitant. Elle prit une profonde inspiration, fermant un instant les yeux pour absorber toute l’énergie du lieu, puis se dirigea vers un coin du jardin où des fleurs sauvages poussaient en abondance. Elle s’agenouilla doucement dans l’herbe, caressant les pétales des violettes et des marguerites du bout des doigts.
Je m’assis près d’elle en silence, laissant sa peine trouver son chemin sans lui imposer de paroles. Les minutes s’écoulèrent ainsi, et peu à peu, je la vis s’apaiser, comme si chaque brise et chaque frôlement des feuilles participaient à panser ses blessures.
Au bout d’un moment, je cueillis une marguerite, simple et pure, et la lui tendis avec un sourire hésitant. « Pour toi, » murmurai-je.
Elle prit la fleur avec une douceur infinie, serrant la tige contre son cœur. « Merci, Kenna, » dit-elle, sa voix à peine audible mais pleine de reconnaissance. Dans ce geste minuscule, je vis sa volonté de reprendre possession de sa vie, morceau par morceau.

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𝑳𝒆𝒔 𝑶𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝑫𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏
RomantizmDans l'Écosse du 16ème siècle, Ailee, princesse, rêve d'échapper à son destin. Fuir loin de la cour, loin des chaînes qui l'emprisonnent. Mais son cœur vacille lorsqu'elle croise Kenna, une duchesse irlandaise au regard intense et au charme indompt...