La morsure du vide

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KENNA

Je n'avais plus goût à rien. Depuis qu'Ailee m'avait annoncé la date de son mariage, je me sentais comme morte à l'intérieur, une coquille vide où résonnaient encore les échos d'un bonheur que je ne connaîtrais jamais. Chaque jour semblait s'étirer interminablement, chaque instant me ramenant à cette réalité insupportable. La douleur avait tout envahi, m'érodant de l'intérieur jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un vide glacial.

Je ne mangeais plus. Les repas que Liora m'apportait restaient intacts, à peine touchés, et même les pâtisseries qui d'ordinaire m'auraient fait sourire me semblaient fades, sans saveur. Il n'y avait plus que mes livres, mes pinceaux et ce piano dont les notes brisées résonnaient dans ma chambre comme autant
des sanglots.

Un matin, alors que je jouais un air lent, triste, et que mes doigts glissaient presque machinalement sur les touches, Ailee entra doucement. Elle s'approcha, hésitante, le visage marqué par l'inquiétude. Ses yeux, où se mêlaient des émotions que je ne pouvais plus supporter de lire, fixèrent mes mains.

- Kenna... Tu ne peux pas continuer ainsi, murmura-t-elle.

Je ne levai même pas les yeux. Mes doigts poursuivirent leur danse désespérée sur les touches, ignorant la détresse dans sa voix. Pourquoi aurait-elle eu mal, elle, alors qu'elle avait choisi cette voie ?

- Et pourquoi pas ? répondis-je, avec une amertume que je ne parvenais plus à dissimuler. Que me reste-t-il d'autre ?

Ailee s'agenouilla près de moi, ses mains tremblantes effleurant le bord de ma robe. Il y avait dans son regard une douleur qui, un instant, me fit fléchir. Mais je ne pouvais plus lui ouvrir mon cœur, il était bien trop déchiré.

- Kenna... je t'en prie... Ne dis pas cela, me supplia-t-elle. Je suis là... et je serai toujours là pour toi.

Je sentis un rire amer monter en moi, mais il resta bloqué dans ma gorge. Je cessai de jouer et levai enfin les yeux vers elle. Mon regard se plongea dans le sien, y cherchant quelque chose que je savais ne pas pouvoir trouver.

- Pour moi ? demandai-je d'une voix faible. Non... tu seras là, Ailee, mais pas pour moi. Pas comme je l'espérais.

Ses yeux se fermèrent un instant, comme si mes mots l'avaient frappée de plein fouet. Elle demeura agenouillée, immobile, et un silence écrasant s'abattit entre nous. Puis, sans un mot de plus, elle se releva et sortit de la pièce. Je restai là, seule, le cœur brisé une fois de plus.

***

Les jours suivants, je trouvai en Célya un soutien silencieux, une présence qui, sans rien attendre, restait auprès de moi dans mon chagrin.

Un après-midi, alors que je peignais dans le jardin, mes gestes automatiques traçaient des traits sombres et torturés, des spirales et des ombres, elle s'installa près de moi sans un mot, observant le tableau qui prenait forme sous mes mains.

- Tu ne peux pas continuer comme ça, Kenna, dit-elle doucement. J'ai peur pour toi.

Je ne répondis pas tout de suite, fixant un papillon qui voletait paresseusement devant nous. Sa beauté fragile me rappela combien la vie pouvait être cruelle, combien elle pouvait se briser en un instant.

- C'est... trop, Célya, murmurai-je enfin. Chaque jour, je me lève en sachant qu'Ailee ne sera jamais mienne. Je me lève en sachant qu'elle épousera un autre, et je ne trouve plus le courage d'affronter ce que je ressens.

Elle posa une main réconfortante sur la mienne. Son geste était doux, mais il ne faisait qu'éveiller en moi une vague de désespoir. J'avais l'impression de me noyer, et même l'affection sincère de Célya ne parvenait plus à m'apaiser.

𝑳𝒆𝒔 𝑶𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝑫𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant