AILEE
Je me tenais devant la fenêtre de ma chambre, le regard perdu dans les cieux tourmentés. Les nuages lourds semblaient porter mon fardeau, et chaque souffle de vent battait contre les vitraux comme un écho de mes pensées. La lumière du jour, tamisée par la grisaille, enveloppait la pièce d’une pâleur fantomatique, comme si même le soleil s'était détourné de moi. C'était une de ces journées où le monde semblait en pause, figé dans une attente silencieuse, presque oppressante.
Depuis des jours, je vacillais, tiraillée entre le poids écrasant de mes responsabilités et l’appel incessant de mon cœur. Mes pensées s’entrechoquaient comme des vagues déchaînées contre les falaises, me laissant le souffle court et le cœur lourd. Chaque décision semblait m’éloigner un peu plus de moi-même, de cette femme que je croyais connaître. Combien de fois avais-je contemplé cette même fenêtre, espérant que le paysage ou les cieux me murmureraient une réponse ? Mais tout restait muet, figé dans une immobilité cruelle.
Je savais ce qu’on attendait de moi. Mon père, le roi, m’avait élevée avec un sens aigu du devoir, un poids que je portais depuis ma naissance. Être sa fille n’avait jamais été une bénédiction ; c’était une charge, un chemin tracé sans détour ni échappatoire. Il n’y avait jamais eu de place pour mes rêves, pour mes désirs, dans ce monde d’apparences et d’obligations. Épouser Evan n’était pas une demande : c’était un ordre, un décret déguisé en attente silencieuse mais implacable. Evan, ce pilier solide et rassurant, représentait tout ce que mon père voulait pour moi : la paix, la stabilité, et ce futur que tout le monde semblait rêver à ma place.
Mais comment lui dire que, malgré toute l’affection que je lui portais, ce mariage me laissait désespérée ? Comment lui avouer que, dans mon cœur, son image pâlissait face à celle de celle qui hantait mes pensées jour et nuit ? Kenna. Rien dans cette union arrangée ne pouvait effacer la brûlure de son absence, ni apaiser cette faim dévorante qui me consumait à chaque instant où elle n’était pas à mes côtés. J’avais essayé de faire taire ce cri intérieur, ce refus viscéral. J’avais même cru, pendant un temps, que je pourrais accepter cette vie qu’on m’imposait. Mais les cicatrices sur ma peau racontaient une toute autre histoire.
Je baissai les yeux sur mes mains tremblantes, mes doigts effleurant machinalement les fines entailles sur mes poignets. Le souvenir des nuits où je m’étais laissée envahir par la détresse me revint, cruel et amer. Les brûlures, les coupures — autant de témoins silencieux de cette bataille intérieure que je perdais. La douleur physique avait été une échappatoire, un cri silencieux dans un monde qui ne voulait pas entendre. Chaque entaille avait été un refuge, un moyen de contenir ce hurlement qui menaçait de briser les murs de mon esprit.
Peux-tu vivre ainsi, Ailee ? Peux-tu survivre à une vie sans elle ?
La question revenait sans cesse, lancinante, implacable, comme une lame enfoncée toujours plus profondément. Même maintenant, alors que je scrutais l’horizon à travers la vitre, je sentais cette douleur enfler en moi, une vague prête à submerger ce qui restait de ma volonté.
Mais au fond de moi, un autre futur m’appelait. Un avenir façonné par Kenna : ses rires éclatants, ses silences pleins de promesses, ses colères qui enflammaient son regard d’un éclat indomptable. Kenna… Ses yeux. J’y avais vu naître et mourir toutes mes étoiles. Ce simple souvenir, aussi fugace soit-il, suffisait à faire trembler mes certitudes.
Je pressai une main tremblante contre ma poitrine, comme pour calmer les battements chaotiques de mon cœur. Ces battements qui, malgré moi, semblaient scander son nom. Ce nom, si simple, mais chargé d’une puissance qui me terrifiait.
Je fermai les yeux. Son visage s’imposa à mon esprit, vif et brûlant, comme une flamme que je ne pouvais éteindre. Ses traits étaient marqués par la douleur que je lui avais infligée, et cette vision me transperça. Chaque sourire qu’elle m’avait offert, chaque regard empli d’une tendresse maladroite mais sincère, semblait désormais souillé par mes choix. Je revis ce moment où elle m’avait regardée, le cœur brisé, tandis que je détournais les yeux, incapable de lui avouer mes sentiments.

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𝑳𝒆𝒔 𝑶𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝑫𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏
RomanceDans l'Écosse du 16ème siècle, Ailee, princesse, rêve d'échapper à son destin. Fuir loin de la cour, loin des chaînes qui l'emprisonnent. Mais son cœur vacille lorsqu'elle croise Kenna, une duchesse irlandaise au regard intense et au charme indompt...