Juin 1767 | France, Gévaudan, baronnie d'Apcher
Elle marchait avec application, faisant attention au moindre de ses gestes. Ses pas incertain la menaient vers cet homme qui l'attendait. Pour la première fois, elle le trouva presque beau dans son habit de lumière. Apolline avait passé des heures à être préparée, ointe, parée d'atour à la beauté qu'elle n'avait jamais imaginé.
Sa robe avait été cousue pendant une longue année, depuis l'annonce de ses fiançailles jusqu'à ce jour que tous bénissaient et qu'elle pleurait en silence. La dentelle délicate venait caresser ses poignets fins, les dorures paraient le corsage de perles ouvragées, le tissu se glissait jusqu'à ses pieds en une marée d'or, de blanc et d'ivoire. Une cascade de boucles brunes ondulait sur ses épaules, ramassées en une coiffure compliquée dont l'ouvrage avait demandé des heures durant lesquelles Apolline était demeurée silencieuse. Elle était magnifique et, pourtant, l'éclat qui aurait dû briller dans ses yeux était inexistant. Ils étaient comme morts, envahit par une peine immense. Sur ses lèvres ne se dessinait pas le moindre sourire. Apolline allait aujourd'hui perdre son nom mais peu lui importait. Elle allait perdre tellement plus que ça...
Dans un dernier caprice d'enfant, elle avait supplié son père à genoux la veille, des larmes roulant sur ses joues. Il avait caressé cette dernière, avait baisé la tête. Il ne pouvait que pleurer face au triste spectacle qu'il offrait. Sa fille était donnée à un monstre que tous haïssaient. Il ne désirait pas ce mariage. Mais que pouvait-il offrir à son peuple alors que Jean-François avait juré les débarrasser de la Bête ? Apolline n'avait pas la moindre idée de ce que signifiait son mariage.
Alors elle avança, sous les feux des regards de l'assemblé. Ils s'étaient tous réuni dans leurs plus beaux atours en cette occasion. Derrière elle suivaient cinq dames de compagnie, parmi lesquelles brillait sa petite sœur. Elle se signa alors que son futur époux lui offrait un sourire, qu'elle vit comme empreint de sadisme. Apolline capta l'éclat de fierté, la beauté de ce visage qui ne l'était pourtant pas. S'il n'avait eu cette réputation, s'il n'avait collé ce couteau sous la gorge de son père, peut-être aurait-elle pu l'aimer. Mais, c'était trop tard. Il l'avait forcée à venir devant cet autel où l'évêque les bénissait. Et jamais elle ne pourrait lui pardonner.
Il lui remit cette alliance qui les lierait à tout jamais et elle fit de même, sans un souffle, croisant ses prunelles au bleu étonnant dans une dernière supplique.
-Apolline Marie-Jeanne de Morangiès née de Châteauneuf-Randon, déclara l'homme d'Église en la gratifiant d'un sourire.
Un nom auquel ils portaient des toasts. Un nom qu'ils bénirent et auquel ils souhaitaient la vie éternelle. Un nom qui l'effrayait plus que tout. Jean François avait gagné. Elle lui appartenait. Et du baiser avec lequel il cloua son destin, il lui montrait le début de ce que serait son parcours de damnée. Il ouvrait la porte à un infini dont elle n'imaginait la grandeur. Il était encore trop tôt mais déjà le comte voyait en elle cette maîtresse démoniaque qu'il allait modeler à la perfection. Puis tout s'emballa trop vite. Le repas passa à une vitesse étonnante. Et déjà, elle montait les marches d'une chambre où l'attendait son destin.
Ce ne fut pas lui qui la déshabilla. Mais sous son regard qui appréciait à l'avance les courbes encore jeunes de son corps. Les femmes de chambres ôtèrent ses vêtements qu'elles avaient passés tant d'heures à lui mettre et chacune lui offrait un sourire compatissant, comme si elle se jetait dans les bras de l'enfer. Apolline tremblait. Le silence et le visage de glace qu'elle avait gardé toute la soirée n'avaient plus lieu d'être maintenant que plus aucun tissu ne venait cacher sa nudité et que son corps était offert à son époux, comme au premier jour de sa vie. Les femmes partirent, laissant la jeune fille terrifiée devant ce regard qui la dévorait avec l'appétit du loup.
Jean François tournait autour d'elle avait la langueur d'un serpent, si semblable à un vautour observant sa proie avant de finalement fondre sur elle. Apolline n'osait bouger, n'osait pas même respirer. Le visage baissé, cachée derrière ses longs cheveux bruns, elle fermait les yeux, entendant juste le bruit de pieds du comte. Lui n'était pas nu. Lui avait le pouvoir sur elle. Lui aurait toujours le pouvoir sur elle. La jeune mariée se sentait comme un animal de foire, comme ses chevaux que l'on observe des heures durant avant de se jeter dessus et de les faire devenir sien. Elle n'était rien d'autre qu'une enfant devant ce regard dans lequel brillait des siècles de vie. Il la tétanisait. Il la terrifiait.
-Tu es si belle Apolline, susurra-t-il, alors qu'elle frémissait.
Sa main contre son corps la fit frisonner. Il fit glisser ses doigts sur sa peau trop blanche. Il passa sa main dans sa crinière, attrapant son menton dans une étreinte trop sévère. Il embrassa ses lèvres avec envie.
Elle le sentit perdre le contrôle au moment même où il la fit basculer sur le lit, écartant ses jambes pour mieux se glisser en elle. Ses gestes se firent anarchiques et d'une vitesse qui fit détourner le visage à la jeune fille. Elle gémit de peur mais il ne l'écoutait pas, ne s'attardant plus que sur le désir. Ses dents s'enfoncèrent dans la chair de sa cuisse sans la moindre précaution et le liquide vermeil explosa dans ses papilles alors qu'il buvait avec avidité à même la source de son corps.
Apolline hurla mais il n'y avait personne dans l'immense château des Morangiès. Elle se débattait vainement contre cet homme à qui elle appartenait désormais, tentant de lutter contre une force qui n'avait rien d'humain. Sentant la chaleur du sang contre sa peau, elle cria un peu plus mais il posa une main autoritaire sur ses lèvres. Il se releva de ses cuisses, et dans ses yeux brillait une lumière qu'elle n'avait jamais vue. Une lumière qui l'attirait comme la flamme d'une bougie le faisait d'un papillon.
-Ne dit pas un mot Apolline. Où je te jure que je te tuerai, asséna-t-il avec violence.
Ses prunelles s'écarquillèrent d'une terreur qui n'avait d'autre nom. Les crocs qui s'échappaient des lèvres vermeilles de son époux la terrifiaient.
Vampire. Ombre de la lune. Démon.
Le sang coulait sur son menton, venant tacher le jabot de sa chemise blanche. Il ôta cette dernière, dévoilant un corps dont elle n'avait jusqu'ici qu'imaginé la force muette.
-Par pitié Jean François. Par pitié laissez-moi.
Mais les supplications étaient vaines. Le vampire avait depuis trop longtemps jeté son dévolu sur elle.
Il la fit sienne sans douceur et elle cria sa douleur au monde. Sa virginité s'envolait et les crocs s'enfonçaient maintenant dans sa gorge, comme pour ôter à leur tour du sang à sa beauté. Sa peau déjà si blanche le devenait encore plus au fil de la nuit, les draps se nappaient de rouge. Jean François ne prêtait lui prêtait pas la moindre attention et les gémissements de ses lèvres ne refrénait pas ses ardeurs.
Ce ne fut qu'au chant de l'aube qu'il lui offrit son sang, qu'elle but en retenant ses hauts le coeur.
Cette nuit, Apolline frémit à l'idée de devenir identique à lui. Elle n'était qu'une enfant. Et, à seize ans, elle était bien trop jeune pour devenir une immortelle.
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Evangeline [Terminé]
ParanormalGevaudan, 1764. Alors que la Bête fait des ravages dans le Gevaudan, Apolline d'Apcher est mariée contre son grès à Jean François de Morangiès, puissant marquis de France, soutenu par l'Eglise et le peuple. Elle n'imagine pas qu'elle a été offerte...