4 - Et la bête reposa en cette Terre bénie

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Juin 1767 | France - Gevaudan, château des Morangiès

Depuis une semaine, Apolline pleurait. Elle ne sortait de sa chambre que pour rejoindre la chapelle du château et priait, encore et encore. La jeune mariée ne mangeait plus, refusant même la présence de ses dames de compagnie. Les yeux rougis, le teint aussi blanc que celui d'un cadavre, elle tournait dans sa chambre comme une âme en peine. La peur la saisissait au moindre craquement de la vieille demeure. Ses draps avaient été changés, mais les marques dans son cou et sur sa cuisse ne lui laissaient aucun doute. Elle n'avait pas rêvé.

Les vampires n'étaient plus un mythe. Ils étaient là, dans l'ombre des mortels, tapis en attendant de se nourrir de leur vie. Et elle en avait un trop proche d'elle. Devant sa coiffeuse, elle releva son opulente chevelure brune, dévoilant sa gorge. Elle comprenait ses cris. Elle comprenait sa douleur. La marque était terriblement profonde, comme si un loup s'était attaqué à sa chair. Mais elle avait déjà cicatrisé, semblant vieilli de plusieurs mots. Ses sourcils se froncèrent en une ligne sombre au-dessus de ses iris azurés. Elle ne comprenait pas. Les blessures ne cicatrisent pas aussi vite. Jamais. Les questions se bousculaient dans sa tête, sans réponse. A se donner la migraine.

Sans réellement prendre la peine de se vêtir et de quitter la tenue qu'on lui avait imposée pour la nuit, elle retourna jusqu'à cette chapelle devenue une extension d'elle-même. Le seul endroit où elle se sentait en paix, persuadée que le vampire ne pourrait jamais passer l'énorme porte, ne pouvait lutter contre cette croix qui recueillait ses larmes. Apolline s'agenouilla devant le Christ, suppliant pour se réveiller de ce cauchemar qui la hantait sans fin. Elle ne parvenait à oublier les agissements de Jean-François puis sa disparition. Nul ne savait ce qu'il était advenu du brun. Apolline était seule et pourtant, elle n'essayait pas de s'échapper. Elle savait parfaitement ce qui l'attendait si elle quittait la propriété des Morangiès et son cou la faisait encore trop souffrir pour qu'elle tente le démon.

"Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes." interrompit la verve d'une femme avant d'ajouter  "Matthieu 10 :16"

La voix  fit brutalement relever le visage d'Apolline. Elle ne s'était pas rendu compte d'une présence à ses côtés et la silhouette encapuchonnée, trop fine pour être celle d'un homme, la regardait fixement. Apolline frissonna, détournant immédiatement les yeux. L'éclat des prunelles bleues qui la dévisageait l'effrayait. Un regard de prédateur qui ne la quittait pas un instant. Une mèche de feu glissa hors du capuchon mais fut remise à sa place par une main trop blanche. La brune tremblait déjà de tout ses membres. Le spectacle de cette femme inconnue, dans une chapelle où elle n'aurait jamais du pouvoir entrer la tétanisait.

"Souvenons-nous des menaces que dieu faisait par la bouche de Moïse. «Je viendrais à vous comme une ourse à qui on a dérobé ses petits. Vos enfants je les dévorerais comme un lion et j'arracherai leurs entrailles, et j'enverrais contre vous la bête farouche qui vous consumera vous et vos troupeaux et fera de vos chemins des déserts. » Il n'est plus en colère. La bête est morte Apolline." tonna une voix qui résonna dans l'immensité de la chapelle et la fit se détacher de la fascination qu'elle avait pour ce corps féminin. 

L'inconnue se retourna en même temps qu'elle jusqu'à celui qui avait eu l'audace de briser le silence religieux de la chapelle. 

Jean-François était magnifique dans cet uniforme de chasse, rehaussant ses iris et la blancheur de sa peau. La femme aux côtés de la jeune mariée se releva, saluant poliment le comte d'un geste de la tête avant de quitter les lieux, redevenant cette ombre qui souleva d'énième questions dans l'esprit d'Apolline.  Elle inspira, légèrement avant de croiser le regard qui la dévorait. Fermant ses yeux, elle sentit le souffle du monstre se glisser sur sa gorge alors qu'il la saluait d'un baiser chaste dans le cou. La brune déglutit mais ne trembla pas, tentant de contrôler les battements frénétiques de son cœur.

"Vous mentez" murmura-t-elle, tentant par la même occasion de se convaincre de la chose. "Elle ne peut pas être morte. Pas si facillement."

"Je suis heureux de vous jurer que non ma mie." Trop rapidement pour son regard de simple mortelle, il se profila devant elle, embrasant sa main sans qu'elle ne lui ait offerte. "Nous partons pour Paris. Je suis navré d'avoir été si long, des affaires de dernières minutes à régler."

Elle ne répondit pas, évitant son regard en baissant légèrement le visage. Un voile de cheveux aussi sombre que les ailes d'un corbeau vinrent cacher ses traits mais il les releva avant de prendre son menton entre ses doigts et d'embrasser ses lèvres avec tendresse.

"Pas ici... S'il vous plait pas ici..." souffla-t-elle, comme pour le raisonner.

"Jamais je ne me le permettrai Apolline. " répondit-il, la laissant pantoise. Baisant une dernière fois ses lèvres, il plongea le bleu de ses yeux dans les siens avant de lui glisser : "Nous partons demain. Jutta s'occupera de vous."

Elle n'eut le temps de demander qui était cette Jutta qu'il avait déjà filé. Le souffle de la brune se libéra enfin alors que ses iris s'écarquillaient sur toutes les questions muettes qu'il avait soulevé. Ses nerfs lâchèrent, la peur disparaissant enfin. Tout, de cette femme mystérieuse au retour de Jean-François la terrifiait. Il y avait tant de choses qu'elle ne comprenait pas. Elle devait lui poser des questions. Elle devait savoir. La curiosité de l'enfant qu'elle était toujours reprenait le dessus sur la prudence de la femme qu'elle devenait.



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