Apolline ne comprenait par quelle magie elle arrivait encore à rester droite. Bloquée par quelque chose de plus grand qu'elle, elle ne pouvait que poser les yeux sur celui qui ne tenait plus sur ses pieds. Jean-François n'avait plus rien du marquis avide de grandeur et mené par ce charisme hors du commun qui le définissait. Là, il ne lui faisait plus peur. Au contraire. Etait-ce de la pitié qu'elle sentait au fond de son propre ventre ? Il lui rappelait tout ce qu'elle avait été, toute cette faible créature qu'elle croyait avoir laissé derrière elle. Elle revoyait sa colère et sa tristesse lorsqu'il avait compris. La douloureuse morsure de ses crocs et de ses étreintes. La folle passion qu'il avait fait naitre en elle.
Lui ne la lâchait pas des yeux. Elle lisait tant de soulagement dans ce regard bleu qu'elle avait autrefois aimé. Elle n'était plus mortelle et le charme du vampire n'avait plus d'impact sur son esprit enfin libéré. Pourtant.... Avait-elle fini par l'aimer autrement que dans le mensonge dont il avait paré sa vie ? Elle se sentait entière là qu'il apparaissait devant elle. Plus encore. Elle était soulagée mais tellement inquiète.
Mais elle ne bougeait pas.
— Monsieur Jean-François de Morangiès, notre cher enfant disparu, susurra le Prince, un amusement félin roulant dans la tessiture de sa voix. C'est un plaisir que de vous voir enfin vous présenter à la cour. J'en aurais presque été déçu de ne pas vous avoir croisé avant.
Jean-François ne daigna pas même tourner la tête vers le vampire. Il ne quittait pas Apolline des yeux et, elle le sentait, tentait de lui offrir des mots qu'elle ne comprenait pourtant pas. Son esprit était muré dans un béton solide, enroulé dans une fumée opaque. Elle essayait. Elle luttait, se débattait. Les pouvoirs qui l'étreignaient étaient trop forts.
Le Prince se racla la gorge, obligeant le regard de la marquise à se tourner vers lui. Tous les autres semblables s'inclinèrent alors qu'il s'avançait, ses mouvements trop souples glissant sur le parquet ciré. Il s'approche d'Apolline et, alors qu'elle ne rêvait que de reculer, agrippa sa mâchoire de sa main gantée.
Le contact du cuir était désagréable, aussi glaciale que les blocs venus de Russie. Il crissa contre la peau de la vampire. Elle releva la tête, forcée par la poigne brutale du Prince. Il voulait plonger dans son regard. Sans un mot, il lui offrit un sourire carnassier qui ne la fit pourtant pas trembler. Elle avait l'impression d'être en son pouvoir, à sa totale merci. Son corps, encore, lui échappait.
Elle se tourna sans le vouloir jusqu'à Jean-François. Accrocha, les yeux ronds, sa peau de ses crocs dévoilés. Les autres ne la lâchaient pas du regard, sans aucun expression sur leurs visages de marbre. Ils n'étaient que des statues se gavant du triste tableau.
Apolline, le poignet ensanglanté, se mit à genoux devant Jean-François. Autour d'elle, comme dotée d'une volonté propre, les tissus de sa robe s'étiraient, formant les pétales d'une rose. Il la regardait, ouvrit la bouche. Leurs yeux se suffisaient à eux-mêmes. Se promettaient des choses que les mots n'auraient pu exprimer.
Elle posa la plaie contre sa bouche. Le sang, au début, roula contre ses lèvres. Il ne voulait pas. Se débattait contre le carmin envouteur. Fini par se laisser aller au parfum passionné. Elle grinça des dents lorsqu'elle sentit ses crocs se refermer autour de sa peau. Mordit dans sa propre lèvre alors qu'il se mettait à boire. Voulu l'éloigner lorsque la douleur l'entoura de ses bras glacés. Il faisait mal. Bien trop mal. Bien plus mal qu'elle ne l'aurait jamais fait.
Puis la souffrance s'arrêta aussi vite qu'elle avait commencé.
L'esprit d'Apolline, brusquement, était redevenu clair. Comme si le contrôle lui avait été rendu. Les fils à ses membres s'étaient coupés. Elle tourna les yeux vers le Prince. Il la toisait toujours de son air de prédateur, accroché aux lèvres ce sourire qui, elle le savait, finirait certainement par la hanter.
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Evangeline [Terminé]
ParanormalGevaudan, 1764. Alors que la Bête fait des ravages dans le Gevaudan, Apolline d'Apcher est mariée contre son grès à Jean François de Morangiès, puissant marquis de France, soutenu par l'Eglise et le peuple. Elle n'imagine pas qu'elle a été offerte...