13 -Ombre et lumière

112 24 8
                                    

La marquise avait gardé le silence pendant deux longues journées. Enfermée, seule, dans sa chambre, elle avait poussé avec une force qu'elle ne se connaissait pas une lourde commode contre la porte, empêchant quiconque d'entrer.

Couchée sur son lit, elle attendait que les aiguilles égrainent les trop longues minutes, imposant à son cerveau de réfléchir plus vite qu'il ne le faisait déjà. Elle devait trouver un moyen de faire payer à son maitre les chaines qui enserraient ses poignets. Elle voulait qu'il ait mal, autant qu'elle. La nouvelle née se souvenait des larmes qu'elle avait vu couler sur le visage de son époux lorsqu'il avait apprit la trahison. Elle savait qu'il avait souffert, l'espace de quelque seconde, en la sachant aimant un autre.

Son cœur ne battrait pourtant plus jamais, elle en était certaine.

Les vampires étaient des monstres qui se cachaient dans les lumières et voilà qu'elle était devenue semblable à ceux qu'elle craignait tant. Elle n'avait pourtant plus le temps d'avoir peur. Apolline sentait que son corps changeait... accompagné de cette âme qu'elle avait perdue pour de bon. Elle n'avait personne pour la guider, personne d'autre que Jean-François.

Un coup sonna contre la porte, d'une petite main fébrile. La marquise se leva, encore totalement nue, toujours couverte du sang qui avait séché contre sa peau glacée. Son époux n'avait pas perdue de temps. Après le massacre qu'elle avait commis, elle s'attendait à devoir s'habiller seule pour le suivre jusqu'aux fastes de Versailles. Une petite créature innocente attendait pourtant sagement, nouvelle camériste à la tête enfoncée dans les épaules.

Apolline lu la peur à l'instant même où l'enfant posa ses yeux sur son corps mais elle ne réagit pas. Ses sentiments, qui avaient été ses seuls compagnons pendant tant d'années l'avaient abandonné. Elle se contenta d'un regard avant de réclamer un bain.

Les préparations n'avaient pas changé depuis qu'elle était immortelle. Des sels puis des onguents, du parfum et du blanc de Céruse. Elle termina sa toilette pendant que l'enfant peignait, avec application, les longues boucles de la marquise. Ses lèvres furent garnies de rouge, prouvant un peu plus sa puissance cruelle. Apolline n'avait envie d'être l'ombre qu'elle avait toujours été alors qu'elle était encore mortelle et consciente. L'insouciante qu'elle fut au bras de son époux, exsangue et désireuse, n'était qu'un souvenir qui n'existait déjà plus.

Jean-François lui avait mentit pendant de trop longues années, détournant même la belle de ses recherches sur ces journaux. Elle percerait ses secrets se jura-t-elle dans un dernier regard orgueilleux jusqu'au miroir.

Durant tout le trajet qui le mena jusqu'à Versailles, Apolline refusa d'ouvrir la bouche, n'offrant pas même un regard à son époux. Elle jouait avec la dentelle de ses manches, hésitante encore sur leur présence trop longue.

La cour les attendait, toujours aussi belle. Les portes d'or s'ouvraient pour les courtisans qui n'avaient les moyens de vivre dans les pièces trop petites du palais. Bien trop se damnait pour arpenter ces lieux, pour espérer croiser le roi dans un salon mais Jean-François avait toujours évité de trop s'attarder, n'offrant son visage que pendant les soirées mondaines. Apolline ne comprenait pas autrefois....

Si la Maintenon avait rendu Versailles plus sévère et pieuse, Louis XV avait repris les vieilles habitudes de son arrière grand père. Il n'avait pas mis longtemps avant d'offrir à ses sujets des festivités qui faisaient accourir les cours de tout les pays. Apolline entra dans la gueule du démon la tête haute, au bras de cet homme qu'elle n'aimait pas. Mais pouvait-elle vraiment se plaindre en voyant les couples improbables qui s'alignaient dans ce repas trop fastueux ? Les fillettes accompagnaient les vieillards, les duchesses s'inclinaient devant quelques hommes malades et tout puait si fort.

- Le monde te semble différent Evangeline ?

La marquise ne prit pas même la peine de répondre, émettant seulement un reniflement indigné face au prénom qu'il employait.

Elle s'échappa de son bras, s'enfonçant au milieu des tables de jeu, offrant là un sourire, là un regard langoureux. Les multitudes d'odeur et le rouge qui montait aux joues de trop de jeunes filles lui donnaient faim. Les images du massacre hurlaient pourtant dans sa tête, la tenant pour l'instant loin des gorges trop dévoilées.

Jusqu'à ce qu'on attrape sa main et qu'on la face s'enfoncer dans un couloir dérobé dont Versailles avait le secret.

Apolline se débâtit trop vite. Un craquement retentit, suivit d'un hurlement de douleur sans même que la marquise ne comprenne qu'elle venait de rompre l'os de celui qui avait le malheur de la tenir.

Son visage s'illumina pourtant à la seconde même où elle croise les yeux de celui qui l'a fait s'échapper. Le même bleu qui enivrait les siens brillait dans les iris qu'elle avait un jour connu par coeur. Les cheveux bruns étaient attachés bas, sur une queue de cheval à la mode des petits salons.

- Jean Philippe. souffla-t-elle.

Son frère se tenait devant elle, la peau foncée par les années passées dans les colonies étrangères, le visage tanné bien plus dur qu'elle ne l'avait jamais vu. Elle sauta dans ses bras, arrachant un glapissement de douleur à celui que ces habits définissait maintenant comme un mousquetaire.

Se rendant compte de la souffrance qui parcourait le corps du noble, Apolline s'éloigna, lançant un regard au bras qu'elle avait tordu, de toute cette force nouvelle qu'elle ne connaissait pas.

- Je suis désolée....
- Il t'a change pas vrai... murmura son frère.

Les yeux de la nouvelle née s'écarquillèrent. Jean Philippe avait tout fait pour tenir éloignée celle qui fût comtesse dans l'homme dans les bras de qui on l'avait jeté, sans que l'enfant ne comprenne. Il lui avait parlé d'ombre, de démon mais son esprit n'avait autrefois pas compris... Il poussa un profond soupir, attrapant son visage sans se soucier de la douleur. Plantant ses yeux dans ceux de sa cadette, il tenta d'y percevoir des choses qu'Apolline ne pouvait pas même imaginer.

-Comme a-t-il décidé de te nommer ?

-Il...

-Apolline ?!

-Evangeline.

Le noble leva les yeux au ciel avant de brusquement se tendre. Il posa une main impétueuse sur le bouche de la jeune femme, laissant passer un couple pouffant, s'enfuyait certainement tromper les belles volontés de Dieu. Il laissa une longue minute s'engrainer, rompue seulement par les battements de son cœur.

- Je suis désolé petite soeur.

Elle n'eut pas le temps de répondre, pas le temps de se débattre qu'elle sentait s'enfoncer dans sa peau de givre une aiguille qu'elle ne l'avait pas vu sortir. Il empêcha le glapissement qui grandissait déjà dans sa gorge en portant une main à sa bouche. Elle ne lisait déjà plus rien dans les yeux de son frère auxquels elle tentait de se raccrocher en sauvegardant sa conscience.

Le noir se fit, saisissant et insondable.

Elle sombra.

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant