15 - Nous ne sommes que poussière

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Son frère l'avait laissé seule pour quelques heures, le temps de prévenir les autres ouailles du lieu que la jeune vampire arpenterait le monastère sans chaînes ni eau bénite. En pleine possession de ses moyens, Apolline attendait la nuit, tournant en rond. Sa gorge, douloureuse, rappelait à son esprit sa soif terrible. A chaque nouvel humain qui passait trop proche de sa cellule, elle avait envie de bondir, d'enfoncer ses crocs dans la douce chair d'un prêtre ou de tout autre être qui arpentait les lieux. 

Elle se contrôlait pourtant, tant bien que mal. Jean-Joseph avait été clair. La jeune immortelle ne devait sa survie qu'à ses liens de parentés. Son innocence, toute feinte, ne lui serait d'aucun secours. Ici Apolline n'était plus une noble dame aux lèvres peinturées de carmins et au titre clinquant de marquise. Elle était une vampire, enfermée, à la chevelure hirsute, au regard certainement gorgé de sang et à la rage profonde. 

Assise dans la fange et la paille, elle laissait ses doigts courir sur la poussière. Elle y traçait des dessins compliqués dont elle ne comprenait pas la signification, des arabesques aux contours flous. Le croissant de lune, qu'elle avait vu sur la poitrine de son frère, revenait, encore et encore, face à un loup agrémenté d'un bijou ovale. L'animal courrait dans son esprit, les babines retroussées sur une rage profonde. Elle tenta d'aller plus loin, de creuser les méandres de souvenirs qui ne lui appartenait pas. Jean-François, de toute sa stature, se dressait aux côtés de l'animal, tenant entre ses doigts une chaîne dorée. Le cliquetis des armes se fit terrible et elle lut dans les yeux de son époux une peur qu'elle ne comprenait. Elle l'appela, elle gémit son prénom. Il restait pourtant sourd, luttant avec l'énergie du désespoir contre une ombre invisible. 

Ce fut la porte qui s'ouvrit, brusquement, qui la fit sursauter et effacer toutes les images qui hantaient son esprit. Se redressant d'un geste, le mouvement de son jupon fit disparaître les dessins dans la poussière. 

Son frère recula d'un pas en apercevait les iris dardés sur lui. Sa main se posa prudemment à son fourreau, prêt à dégainer. L'ire d'Apolline disparu pourtant bien vite quand elle reconnu le visage de Jean-Joseph. Presque dans un soulagement, elle voulu s'approcher de lui. L'odeur de sa peur la prit à la gorge, l'étouffant. 

De cruelle vampire, Apolline venait déjà d'être renvoyée à cette enfant qui n'avait fait que subir. 

-Ils acceptent que tu remontes à la surface, à nos côtés. A la seule condition que tu jures allégeance au Seigneur et à notre Ordre. 

Aussitôt, les pensées de la jeune fille s'éloignèrent des images étranges de son esprit pour se transformer en questions. Elle durent se lire dans son esprit. Elle n'eut pas le temps de prononcer un mot qu'il enchaînait déjà sur des réponses tant attendues. 

-L'Ordre de Saint-Michel, fondé autrefois par un Roi bien plus croyant que Sa Majesté, prêt à tout pour lutter contre les démons qui hantaient les campagnes de France. Tu dois bien les avoir vu aujourd'hui, des membres gorgés de privilèges qui arborent le collier d'or aux coquilles lassées. Père les idolâtraient alors que les Cent n'ont pas même conscience de véritables moines guerriers qui peuplent leur rang. Eux attirent la lumière. Nous agissons dans l'ombre contre les créatures comme toi, contre les enfants du Malin et de Lilith. 

-Dieu n'acceptera jamais une... un être comme moi dans ses rangs. Je n'ai pas envie d'être foudroyée ou je ne sais quelles idées pourraient passer dans Ses pensées. 

-Jean-François t'as épousé dans une Eglise Apolline. Voilà bien longtemps que Notre Seigneur s'est désintéresse de nous et de Ses lieux saints. Mais Il nous a confié le devoir de lutter contre le mal et nous devons Lui obéir pour espérer rejoindre les portes du Paradis. Ses armes fonctionnent toujours même si les démons se font de plus en plus forts face à Sa puissance. Tu pourrais devenir l'une d'elle et qui sait... Il te débarrassera peut-être de ta malédiction. 

Il y avait tant d'espoir dans les yeux de son frère qu'Apolline n'osa pas le contredire. Elle savait pourtant, au plus profond de son coeur, qu'elle était morte à l'instant même où Jean-François l'avait nourrit de son propre sang. 

Elle tendit sa main à son frère, caressant du doigt sa peau si chaude qui l'affamait tant. Il l'aida à se relever. S'approchant de la porte, son puce caressant toujours la paume de sa sœur, il attrapa une nouvelle fois son regard et murmura, de ces secrets qu'ils partageaient autrefois : 

-Nous allons essayer de voir si tu peux te nourrir de sang animal. Et si cela t'es aussi impossible qu'aux autres vampires, nous te trouverons des donneurs. Il faudra néanmoins que tu te contrôles Apolline. Le moindre mort et tu seras offerte au soleil. Tu es encore trop jeune pour résister à l'Aube. 

-Jean-François ne craignait pas la lumière...

-Car il avait des siècles d'existence. Tu n'es qu'une enfant pour les immortels et s'il y a encore un peu de ton sang dans tes veines, tu n'en demeures pas moins plus fragiles que tes semblables. 

-Fragile mais capable de tous vous arracher la tête... maugréa-t-elle, arrachant un éclat de rire à son frère. 

-Détrompe toi Apolline. Tu te pensais peut-être forte face aux courtisans de Versailles mais nous sommes ici des guerriers, pas des moutons égarés. Maintenant suis moi. Et garde la tête base. 


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Bonjour à tous et désolée pour mon absence si longue !

Voici enfin la suite d'Evangeline, je dois avouer que j'étais aussi paumée que ma petite vampire sur le devenir de son destin mais j'ai trouvé un axe de travail et j'espère qu'il vous plaira !

N'hésitez pas à me dire ce que vous aimeriez pour la suite, je travaille sur ce roman sans le moindre plan et je peux tout à fait adapter l'histoire de Mademoiselle d'Apcher si quelques bonnes idées s'envolent jusqu'à moi ♥

Des bisous fantastiques à tous !



Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant