Son réveil fut plus douloureux encore que lorsqu'elle avait été transformé.
Les souvenirs étaient flous dans son esprit, couverts d'une chape d'acier qu'elle ne parvenait à faire tomber. Elle se souvenait d'avoir franchit le portail d'or de Versailles, d'être entrée dans les salons la tête haute... puis plus rien.
Les yeux de la nouvelle née s'ouvrirent sur un spectacle auquel elle n'était pas habituée. Elle qui avait toujours grandit dans le luxe à outrance, dans les dorures et les couvertures de soie se retrouvait couchée sur une paillasse peu confortable. Son corps ne gémissait pourtant plus, sentant seulement quelques brins de pailles piquer sa peau. La pièce était sombre et un feu mourait dans un coin. Pas de tableaux, de grandes fenêtres et de magnifiques broderie. Juste une odeur de renfermé et d'égout qui attaquait les narines de la vampire.
Apolline tenta de se relever mais ses jambes ne lui répondirent pas, comme enfoncées dans de la glace.
Alors elle fit ce que son cerveau lui soufflait de plus cohérent. Elle hurla. De toute la force de ses poumons qui n'avaient maintenant plus besoin d'air. Elle appela à l'aide, elle tenta de percer les murs épais qui l'entouraient. Elle cria jusqu'à ce que ces cordes vocales lâchent, jusqu'à ce qu'elles se tordent. La douleur la transperça violemment alors qu'elle s'étouffait dans son propre sang, crachant le liquide au goût trop désagréable.
Un bruit de marche l'arrêta dans ses cris, attirant son ouïe alors qu'elle se concentrait, tentant de savoir combien de personne marchait et s'ils se dirigeaient vers elle. Elle entendit le frottement des tuniques de jutes, le pas trop précis et tombant exactement au même instant et les murmures répétés en un cantique qu'elle ne comprenait que trop bien.
" Agnus Dei qui tollis peccata mundi, miserere nobis. Agnus Dei qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem."
Des prêtres.
Ne connaissant pas encore assez bien sa nouvelle nature, la vampire se ramassa sur elle-même, s'enfonçant dans le silence. Elle ne savait pas si le regard de Dieu pouvait la foudroyer, si la simple présence de la religion pouvait la détruire. Après tout, elle n'avait plus d'âme et l'absolution lui était maintenant interdite.
La prière continua, passa devant la pièce qu'elle occupait et disparu au loin. Apolline n'eut pourtant pas le temps de sourire que la porte s'ouvrait brutalement, sur un visage connu.
Les souvenirs explosèrent, mélanges de passé et de présent qu'elle avait dû mal à différencier les uns des autres. Elle voyait ses frères et soeurs rire autour d'elle, chahuter dans les jardins du château de Besque. Elle souriait alors que les chevaux partaient au grand galop durant une chasse. Jean-François la grondait alors qu'elle pleurait suite à une mauvaise chute. Il la prenait dans ses bras. Et il hurlait alors qu'elle était promise au monstre de sa vie.
Jean-Joseph était devant elle, dans un pourpoint d'un rouge sanglant sur lequel était brodé d'argent un croissant de lune percé d'une dague. Son justaucorps avait connu nombres de jours plus heureux et l'odeur qu'il dégageait n'avait rien à voir avec les gorges parfumées des courtisant. Il semblait plus grand qu'avant, plus vieux également. Sa barbe, que la cour faisait porter courte, était plus longue que tout ce qu'Apolline avait vu. Des poches sombres courraient sous ses yeux, exposant sa fatigue au visage du monde mais il n'avait pas pris la peine de se farder pour faire oublier ces faiblesses.
-Il a fini par te transformer... murmura-t-il, sa voix teintant de peine. Je ne pensais pas qu'il passerait le cap.
-Je n'ai pas choisi ça.
La voix de la marquise claqua dans l'air alors qu'elle essayait une nouvelle fois de se relever.
- Qu'est ce que tu m'as fait Jean-Joseph ?
-Tu es dangereuse petite sœur. Pour toi comme pour les autres. Il m'est impossible de te laisser courir à l'air libre et suivre le chemin de ton Sire. Jean-François a bien assez tué et il mérite la mort qui l'attends. Je ne pouvais pas te laisser tomber avec lui. A l'heure qu'il est, les chasseurs l'ont déjà très certainement occis. Tu suivras bientôt sa route si tu n'obéis pas.
Le silence suivit son monologue, quelques longues minutes pendant lesquelles Apolline garda les yeux écarquillés. Le lien entre son frère et son époux lui semblaient bien obscurs, bien différent de ce qu'il aurait dû être. Jean-Joseph avait disparu, longtemps, trop longtemps. Et il revenait armé de réponses que la marquise n'avait pas envie d'entendre. Pas envie de comprendre.
Puis Apolline éclata d'un rire bruyant avant que ses yeux ne se remplissent de glace.
- Parce que tu penses vraiment que maintenant je vais m'incliner devant la moindre personne ? Vous m'avez offertes comme un animal à un monstre alors que vous le saviez. Vous avez fait de moi une pauvre petite chose obligée de s'incliner devant celui qui se gavait de ma vie. Vous n'avez pas daigné venir me chercher, vous n'êtes pas intervenu alors qu'il bafouait l'Eglise et qu'il me transformait en un être abjecte. Et tu penses que maintenant qu'il m'a donné la force je vais gentiment m'incliner devant vous ? Je ne suis plus l'enfant que tu as connu mon frère. Je refuse de redevenir une proie.
-Et ce n'est pas ce que je veux de toi Apolline. Tu ne sais rien du monde dans lequel il t'a jeté. Rien de ceux qui sont désormais ma famille. Tu es une vampire, tu devrais être décapitée sur l'heure. Je t'offre de continuer ton immortalité comme une prédatrice pas comme une victime. Loin de Jean-François et sans que personne ne t'appelle Evangeline. Le choix te revient petite soeur....
Le silence répondit au mousquetaire.
Apolline ne le lâchait pas des yeux, cherchant des failles dans son visage de glace. Il ne laissait rien transparaître et tout de lui, jusqu'à son pouls, était d'un calme déconcertant.
-Je suppose que je n'ai pas vraiment le choix. Alors j'accepte. Mais je veux des réponses à la moindre de mes questions Jean-Joseph. Et à l'instant où je le demande.
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Evangeline [Terminé]
ParanormalGevaudan, 1764. Alors que la Bête fait des ravages dans le Gevaudan, Apolline d'Apcher est mariée contre son grès à Jean François de Morangiès, puissant marquis de France, soutenu par l'Eglise et le peuple. Elle n'imagine pas qu'elle a été offerte...