La caresse de la lune sur son derme blanchâtre éveilla la vampire. Ses muscles, ankylosés, grondaient. Elle s'était endormie la plume à la main. Sur sa peau, l'encre avait noircit. Le sommeil l'avait happé en quelque seconde, elle qui croyait pouvait lui survivre pour la nuit.
Apolline offrit un dernier regard à sa lettre, relue rapidement les mots que la peur et la colère avaient dessiné. Au moins l'écriture avait-elle eu le temps de sécher. Elle ne partirait jamais. Le moindre bureau de Poste était trop loin et, aurait-elle eu la possibilité de s'y rendre qu'elle n'aurait rencontré que du vide. Les cavaliers étaient déjà partis.
Elle déchira le papier fin qui ne lui coupait maintenant plus la peau.
Ses pas, d'eux-même, la menèrent jusqu'au balcon de sa délivrance. Là, au dessus du vide monstrueux de l'horizon, elle termina de réduire en miettes les mots teintés de ce qui avaient été ses larmes.
La neige tombait. Etait-il trop tôt ou trop tard ?
Apolline ne le savait pas. Son corps s'était gelé, dès qu'elle avait pénétré la demeure du Prince. Jamais elle ne s'était sentit si immortelle dans ce palais de danger. Jamais sa vie n'avait été si incertaine, battement éphémère dont la suite ne dépendait plus d'elle. Seule, dans un panier de crabe pire encore que le nid de Versailles. Les serpents n'étaient plus métaphoriques.
Sa respiration n'offrit aucune nuée blanche. Ses lèvres, plus froides encore que le manteau blanc de l'hiver, frémissaient. Au loin, elle apercevait le feu du regard de Jean-François. A l'orée de ses yeux bleus, quelque larmes carmines dévoraient encore le blanc.
Un soupire, incertain, offrit les dernières secondes de liberté.
Evangeline ouvrit les yeux, en place d'Apolline. L'enfant faisait ses adieux, perdait son nom. Ils la voulaient ainsi. N'auraient-mieux pleuré - s'ils en étaient capable – que de voir celle que le monde ramenaient ? Son sang était puissant. Sa rancœur plus encore. Plus forte, plus grande. Enfoncée dans son âme avec la même puissance que sa foi.
Evangeline tourna les talons. Sous ses pas, la neige du balcon craquelait. Elle épousseta sa capeline, ôtant cette douceur blanchâtre qui jamais ne fondait sur la peau d'un vampire. Il la regardait toujours. Mais pour elle, Jean-François était mort, souvenir épousseté sur les cendres de son passé. Il l'avait forcé. Le Prince lui offrait la liberté feinte. Elle la prendrait. La dévorerait même. Pour mieux la vomir aux pieds de celui dont elle partageait le sang. Son âme était damnée. Mais Dieu, dans son unique bonté, pardonnait toujours aux pécheurs. Elle l'avait juré. Evangeline voulait la croire.
La vampire remonta le long des couloirs du manoir. La nuit, encore trop claire, éloignant les âmes anciennes. Bientôt, le lieu fourmillerait de vie, comme les autres soirs. Ils se retrouvaient tous ici. N'avait-ils conscience du danger ? Ou peut-être se croyaient-ils trop puissants, eux pour qui les hommes n'étaient que du bétail et l'Ordre des chiens de bergers. Leur orgueil les damnerait mieux encore que la vengeance dont elle s'était faite la lame.
Aux murs de pierres glacées, les peintures la suivaient de leur regard millénaire. Ils lisaient en elle, faisaient frissonner le derme de son échine. Elle devait trouver un plan. Un angle d'attaque. Comment détruire des vampires dont elle ne connaissait pas les faiblesses ? Ils craignaient le soleil. Elle avait vu Jean-François se tapir dans les ombres dès le petit jour. Elle avait même senti, quand elle chassait pour son époux, la morsure de l'astre. Jupiter pouvait les détruire. L'emportant avec elle dans un océan de cendre.
Non, elle ne pouvait partir comme cela. Elle voulait goûter à sa vengeance avant de laisser son âme éternelle retourner à son créateur.
Il devait exister d'autre chose, des brides de passé.
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Evangeline [Terminé]
ParanormalGevaudan, 1764. Alors que la Bête fait des ravages dans le Gevaudan, Apolline d'Apcher est mariée contre son grès à Jean François de Morangiès, puissant marquis de France, soutenu par l'Eglise et le peuple. Elle n'imagine pas qu'elle a été offerte...